lundi 2 novembre 2009

Textes Traditionnalistes

Thierry Jolif
1. "Eveille toi ! É et meurs !" : John Tavener et Ananda Coomaraswamy, le musicien et le métaphysicien
2. Une doctrine chrétienne de l'Eveil
3. Introduction à la tradition celtique
4. Le mystère Cernunnos : un aspect du « Mercure gaulois » ?

Patrick Laude
5. La Poesie Didactique de Frithjof Schuon
6. La notion d'ésotérisme chez Frithjof Schuon

Martin Lings
7. René Guénon

Mihai Marinescu
8. Vasile Lovinescu et l'esprit traditionnel en Roumanie

Jean-Louis Michon
9. Remarques à propos de la communication faite par le Dr. Mark Sedgwick au séminaire d'Alexandrie sur la tariqa shadhiliyya (avril 2003)

Fabrice Midal
10. Shambhala : vers le Coeur de toute spiritualité
11. Voie Mystique dans le bouddhisme ésotérique du Vajrayana Himalayen
12. Le non-moi au sein du Mahayana et du Vajrayana
13. Esprits Médiateurs au sein du Tantra Bouddhiste, Regards "Trungpien" sur Vajrayogini

Kenneth Harry Oldmeadow
14. Mélodie de l'Au-delà, perspective schuonienne sur la religion des aborigènes d'Australie

Charles Amir Perret
15. De l'essentiel d'être un

Patricia Reynaud
16. Le Catharisme au regard de la Tradition
17. Frithjof Schuon et la Tradition des Indiens d'Amérique
18. Le Centre Suprême dans les enseignements du saint indo-musulman Shirdi Sai Baba (Co-authored with Renaud Fabbri)
19. René Guénon et Ivan Agueli

Timothy Scott
20. Remarques sur Saint Christophe

William Stoddart
21. Titus Burckhardt et l'École Traditionaliste

Sofia Stril-Rever
22. Le Don de Kalachakra au Monde
23. Kalachakra, l'Amour de Bouddha à l'État Pur
24. La Vibration-en-Splendeur, Expérience-Source du Mandala du Kalachakra

lundi 21 septembre 2009

Les états multiples de l'être (2)

CONSIDÉRATIONS ANALOGIQUES TIRÉES DE L'ÉTUDE DE L'ÉTAT DE RÊVE

« Nous quitterons maintenant le point de vue purement métaphysique auquel nous nous sommes placé, dans le chapitre précédent, pour envisager la question des rapports de l'unité et de la multiplicité, car nous pourrons peut-être mieux encore faire comprendre la nature de ces rapports par quelques considérations analogiques, données ici à titre d'exemple, ou plutôt d'« illustration », si l'on peut ainsi parler, et qui montreront dans quel sens et dans quelle mesure on peut dire que l'existence de la multiplicité est illusoire au regard de l'unité, tout en ayant, bien entendu, autant de réalité qu'en comporte sa nature.
Nous emprunterons ces considérations, d'un caractère plus particulier, à l'étude de l'état de rêve, qui est une des modalités de manifestation de l'être humain, correspondant à la partie subtile (c'est-à-dire non-corporelle) de son individualité, et dans lequel cet être produit un monde qui procède tout entier de lui-même, et dont les objets consistent exclusivement dans des conceptions mentales (par opposition aux perceptions sensorielles de l'état de veille), c'est-à-dire dans des combinaisons d'idées revêtues de formes subtiles, ces formes dépendant d'ailleurs substantiellement de la forme subtile de l'individu lui-même, dont les objets idéaux du rêve ne sont en somme qu'autant de modifications accidentelles et secondaires.
L'homme, dans l'état de rêve, se situe donc dans un monde qui est tout entier imaginé par lui, dont tous les éléments sont par conséquent tirés de lui-même, de sa propre individualité plus ou moins étendue (dans ses modalités extracorporelles), comme autant de « formes illusoires » (mâyâvirâpa) , et cela alors même qu'il n'en possède pas actuellement la conscience claire et distincte.
Quel que soit le point de départ intérieur ou extérieur, pouvant être fort différent suivant les cas, qui donne au rêve une certaine direction, les événements qui s'y déroulent ne peuvent résulter que d'une combinaison d'éléments contenus, au moins potentiellement et comme susceptibles d'un certain genre de réalisation, dans la compréhension intégrale de l'individu ; et, si ces éléments, qui sont des modifications de l'individu, sont en multitude indéfinie, la variété de telles combinaisons possibles est également indéfinie.
Le rêve, en effet, doit être regardé comme un mode de réalisation pour des possibilités qui, tout en appartenant au domaine de l'individualité humaine, ne sont pas susceptibles, pour une raison ou pour une autre, de se réaliser en mode corporel ; telles sont, par exemple, les formes d'êtres appartenant au même monde, mais autres que l'homme, formes que celui-ci possède virtuellement en lui-même en raison de la position centrale qu'il occupe dans ce monde . Ces formes ne peuvent évidemment être réalisées par l'être humain que dans l'état subtil, et le rêve est le moyen le plus ordinaire, on pourrait dire le plus normal, de tous ceux par lesquels il lui est possible de s'identifier à d'autres êtres, sans cesser aucunement pour cela d'être lui-même, ainsi que l'indique ce texte taoïste : « Jadis, raconte Tchoang-tseu, une nuit, je fus un papillon, voltigeant content de son sort ; puis je m'éveillai, étant Tchoang-tcheou. Qui suis-je, en réalité ? Un papillon qui rêve qu'il est Tchoang-tcheou, ou Tchoang-tcheou qui s'imagine qu'il fut papillon ? Dans mon cas, y a-t-il deux individus réels ? Y a-t-il eu transformation réelle d'un individu en un autre ? Ni l'un ni l'autre ; il y a eu deux modifications irréelles de l'être unique, de la norme universelle, dans laquelle tous les êtres dans tous leurs états sont un ».
Si l'individu qui rêve prend en même temps, dans le cours de ce rêve, une part active aux événements qui s'y déroulent par l'effet de sa faculté imaginative, c'est-à-dire s'il y joue un rôle déterminé dans la modalité extra-corporelle de son être qui correspond actuellement à l'état de sa conscience clairement manifestée, ou à ce qu'on pourrait appeler la zone centrale de cette conscience, il n'en faut pas moins admettre que, simultanément, tous les autres rôles y sont également « agis » par lui, soit dans d'autres modalités, soit tout au moins dans différentes modifications secondaires de la même modalité, appartenant aussi à sa conscience individuelle, sinon dans son état actuel, restreint, de manifestation en tant que conscience, du moins dans l'une quelconque de ses possibilités de manifestation, lesquelles, dans leur ensemble, embrassent un champ indéfiniment plus étendu. Tous ces rôles apparaissent naturellement comme secondaires par rapport à celui qui est le principal pour l'individu, c'est-à-dire à celui où sa conscience actuelle est directement intéressée, et, puisque tous les éléments du rêve n'existent que par lui, on peut dire qu'ils ne sont réels qu'autant qu'ils participent à sa propre existence c'est-lui-même qui les réalise comme autant de modifications de lui-même, et sans cesser pour cela d'être lui-même indépendamment de ces modifications qui n'affectent en rien ce qui constitue l'essence propre de son individualité.
De plus, si l'individu est conscient qu'il rêve, c'est-à-dire que tous les événements qui se déroulent dans cet état n'ont véritablement que la réalité qu'il leur donne lui-même, il n'en sera aucunement affecté alors même qu'il y sera acteur en même temps que spectateur, et précisément parce qu'il ne cessera pas d'être spectateur pour devenir acteur, la conception et la réalisation n'étant plus séparées pour sa conscience individuelle parvenue à un degré de développement suffisant pour embrasser synthétiquement toutes les modifications actuelles de l'individualité. S'il en est autrement, les mêmes modifications peuvent encore se réaliser, mais, la conscience ne reliant plus directement cette réalisation à la conception dont elle est un effet, l'individu est porté à attribuer aux événements une réalité extérieure à lui-même, et, dans la mesure où il la leur attribue effectivement, il est soumis à une illusion dont la cause est en lui, illusion qui consiste à séparer la multiplicité de ces événements de ce qui en est le principe immédiat, c'est-à-dire de sa propre unité individuelle .
C'est là un exemple très net d'une multiplicité existant dans une unité sans que celle-ci en soit affectée ; encore que l'unité dont il s'agit ne soit qu'une unité toute relative, celle d'un individu, elle n'en joue pas moins, par rapport à cette multiplicité, un rôle analogue à celui de l'unité véritable et primordiale par rapport à la manifestation universelle. »

samedi 4 juillet 2009

L’erreur spirite, (fragment)

Le spirite qui, possédant quelques facultés médiumniques, s’enferme chez lui pour consulter sa table à propos de n’importe quoi, ne se doute pas que c’est tout simplement avec lui-même qu’il communique par ce moyen détourné, et c’est pourtant ce qui lui arrive le plus ordinairement.

Dans les séances des groupes, la présence d’assistants plus ou moins nombreux vient un peu compliquer les choses: le médium n’en est plus réduit à sa seule pensée, mais, dans l’état spécial où il se trouve et qui le rend éminemment accessible à la suggestion sous toutes ses formes, il pourra tout aussi bien refléter et exprimer la pensée de l’un quelconque des assistants. D’ailleurs, dans ce cas comme dans le précédent, il ne s’agit pas forcément d’une pensée qui s’exprimera guère que si quelqu’un a la volonté bien arrêtée d’influencer les réponses; habituellement, ce qui se manifeste appartient plutôt à ce domaine très complexe que les psychologues appellent le « subconscient ». On a parfois abusé de cette dernière dénomination, parce qu’il est commode, en maintes circonstances, de faire appel à ce qui est obscur et mal défini; il n’en est pas moins vrai que le « subconscient » correspond à une réalité; seulement, il y a de tout là-dedans, et les psychologues, dans la limite des moyens dont ils disposent, seraient fort embarrassés pour y mettre un peu d’ordre. Il y a d’abord ce qu’on peut appler la « mémoire latente »: rien ne s’oublie jamais d’une façon absolue, comme le prouvent les cas de « réviviscence » anormale qui ont été assez souvent constatés; il suffit donc que quelque chose ait été connu de l’un des assistants, même s’il croit l’avoir complètement oublié, pour qu’il n’y ait pas lieu de chercher ailleurs si cela vient à s’exprimer dans une « communication » spirite. Il y a aussi toutes les « prévisions » et tous les « pressentiments », qui arrivent parfois, même normalement, à devenir assez clairement conscients chez certaines personnes; c’est à cet ordre qu’il faut certainement rattacher bien des prédictions spirites qui se réalisent, sans compter qu’il y en a beaucoup d’autres, et probablement un plus grand nombre, qui ne se réalisent pas, et qui représentent de vagues pensées quelconques prenant corps comme peut le faire n’importe quelle rêverie [1].

Mais nous irons plus loin: une « communication » énonçant des faits réellement inconnus de tous les assistants peut cependant provenir du « subconscient » de l’un d’eux, car, sous ce rapport aussi, on est fort loin de connaître ordinairement toutes les possibilités de l’être humain: chacun de nous peut être en rapport, par cette partie obscure de lui-même, avec des êtres et des choses dont il n’a jamais eu connaissance au sens courant de ce mot, et il s’établit là d’innombrables ramifications auxquelles il est impossible d’assigner des limites définies. Ici, nous sommes bien loin des conceptions de la psychologie classique; cela pourra donc sembler étrange, de même que le fait que les « communications » peuvent être influencées par les pensées de personnes non présentes; pourtant, nous ne craignons pas d’affirmer qu’il n’y a à tout cela aucune impossibilité.

Ce qu’il y a de curieux à noter comme conséquence de ces dernières considérations, c’est ceci: ceux même qui admettent qu’il est possible d’évoquer les morts (nous voulons dire l’être réel des morts) devraient admettre qu’il soit également possible, et même plus facile, d’évoquer un vivant, puisque le mort n’a pas acquis, à leurs yeux, d’éléments nouveaux, et que d’ailleurs, quel que soit l’état dans lequel on le suppose, cet état, comparé à celui des vivants, n’offrira jamais une similitude aussi parfaite que si l’on compare des vivants entre eux, d’où il suit que les possibilités de communication, si elles existent, ne peuvent en tout cas être qu’amoindries et non pas augmentées. Or il est remarquable que les spirites s’insurgent violemment contre cette possibilité d’évoquer un vivant, et qu’ils semblent la trouver particulièrement redoutable pour leur théorie; nous qui dénions tout fondement à celle-ci, nous reconnaissons au contraire cette possibilité, et nous allons tâcher d’en montrer un peu plus clairement les raisons. Le cadavre n’a pas de propriétés autres que celles de l’organisme animé, il garde seulement certaines des propriétés qu’avait celui-ci; de même, l’ob des Hébreux, ou le prêta des Hindous, ne saurait avoir de propriétés nouvelles par rapport à l’état dont il n’est qu’un vestige; si donc cet élément peut êter évoqué, c’est que le vivant peut l’être aussi dans son état correspondant.

Bien entendu, ce que nous venons de dire suppose seulement une analogie entre différents états, et non une assimilation avec le corps; l’ob (conservons-lui ce nom pour plus de simplicité) n’est pas un « cadavre astral », et ce n’est que l’ignorance des occultistes, confondant analogie et identité, qui en a fait la théorie, c’est de limiter arbitrairement des possibilités que l’on peut dire proprement indéfinies (nous ne disons pas infinies). Les forces susceptibles d’entrer en jeu sont diverses et multiples; qu’on doive les regarder comme provenant d’êtres spéciaux, ou comme de simples forces dans un sens plus voisin de celui où le physicien entend ce mot, peu importe quand on s’en tient aux généralités, car l’un et l’autre peuvent être vrais suivant les cas.

Parmi ces forces, il en est qui sont, par leur nature, plus rapprochées du monde corporel et des forces physiques, et qui, par conséquent, se manifesteront plus aisément en prenant contact avec le domaine sensible par l’intermédiaire d’un organisme vivant (celui d’un médium) ou par tout autre moyen. Or ces forces sont précisément les plus inférieures de toutes, donc celles dont les effets peuvent être les plus funestes et devraient être évités le plus soigneusement; elles correspondent, dans l’ordre cosmique, à ce que sont les plus basses régions du « subconscient » dans l’être humain. C’est dans cette catégorie qu’il faut ranger toutes les forces auxquelles la tradition extrême-orientale donne la dénomination générique d’« influences errantes », forces dont le maniement constitue la partie la plus importante de la magie, et dont les manifestations, parfois spontanées, donnent lieu à tous ces phénomènes dont la « hantise » est le type le plus connu; ce sont, en somme, toutes les énergies non individualisées, et il y en a naturellement de bien des sortes. Certaines de ces forces peuvent être dites vraiment « démoniaques » ou « sataniques »; ce sont celles-là, notamment, que met en jeu la sorcellerie, et les pratiques spirites peuvent aussi les attirer souvent, quoique involontairement; le médium est un être que sa malencontreuse constitution met en rapport avec tout ce qu’il y a de moins recommandable en ce monde, et même dans les mondes inférieurs. Dans les « influences errantes » doit être également compris tout ce qui, provenant des morts, est susceptible de donner lieu à des manifestations sensibles, car il s’agit là d’éléments qui ne sont plus individualisés: tel est l’ob lui-même, et tels sont à plus forte raison tous ces éléments psychiques de moindre importance qui représentent « le produit de la désintégration de l’inconscient (ou mieux du « subconscient ») d’une personne morte »; ajoutons que, dans les cas de mort violente, l’ob conserve pendant un certain temps un degré tout spécial de cohésion et de quasi-vitalité, ce qui permet de rendre compte de bon nombre de phénomènes.

(Fragment de L’Erreur spirite, Etudes Traditionnelles)

Notes:

[1] Il y a aussi des prédictions qui ne se réalisent que parce qu’elles ont agi à la façon des suggestions; nous y reviendrons quand nous parlerons spécialement des dangers du spiritisme.

dimanche 31 mai 2009

René Guénon, initiateur de l’excellence

par Julien Darmon

Génie influent et méconnu, René Guénon, en refusant de fonder une école, a fait de tous les amoureux de l’esprit ses héritiers indirects. Critique profond de la modernité qui n’a pourtant jamais versé dans le délire mystique ni dans l’extrémisme politique, l’auteur du Règne de la quantité apparaît encore plus nettement comme un penseur de l’existence authentique.

Si la valeur d’un penseur se mesure au degré de mimétisme qui existe entre l’homme et l’œuvre, alors René Guénon est sans le moindre doute un génie exceptionnel. Celui qui n’a cessé de combattre l’esprit de modernité et sa tendance à vouloir tout rendre simple et univoque, à tout ranger en catégories, reste aujourd’hui encore un philosophe inclassable. Il n’a pas fondé d’école, et jusqu’à présent rares sont ceux qui se revendiquent guénoniens ; pourtant, ses intuitions, tant sociales que spirituelles, forment le fond de toute pensée initiatique contemporaine.

"Philosophe invisible", selon le beau titre de Jean-Luc Maxence, il apparaît presque toujours à ses lecteurs comme avant-gardiste ou rétrograde - ce qui n’a rien d’étonnant pour quelqu’un qui s’est toujours résolument placé hors de l’époque. Non seulement de la sienne, mais de toute période qui se vit en moment historique, sur une échelle du progrès dont il apparaît chaque jour plus nettement que ses barreaux sont vermoulus.

Un précurseur absolu

Sans doute, c’est dans le contexte du XXe siècle naissant que se lit avec plus de clarté l’inactualité quasi-nietzschéenne de René Guénon. En un temps ivre de ses réalisations matérielles, qui célèbre la mort de l’esprit comme une victoire, en cette apocalypse joyeuse du matérialisme qui ne tardera pas à trouver son atroce vérité dans deux guerres mondiales, se dresse, solitaire et discrète, une âme éprise d’infini. Ses premières fréquentations, de 1906 à 1909 environ, gravitent autour de l’École supérieure libre des sciences hermétiques dirigée par le fameux Papus. Le nom de l’institut reflète assez bien l’improbable mélange d’esprit positiviste et de tradition frelatée qui caractérise son enseignement. Le décorum est à l’avenant : pentacles ornés de grossiers symboles pseudo-cabalistiques, lourdes tentures de velours noir et bougies graisseuses. Le jeune Guénon - né en 1886, c’est à peine un adulte - franchira avec fulgurance et beaucoup de distance critique les innombrables et improbables grades de l’ordre avant d’être exclu pour "tendances schismatiques" - l’authenticité de sa quête dérangeait certainement les douces et innocentes illusions magico-oculistes dont aimaient se bercer les membres de cette assemblée.
Il continue ensuite à fréquenter la section Thébah de la Grande loge de France, particulièrement traditionaliste pour son siècle, jusqu’à la guerre de 1914-1918. Il semble considérer la franc-maçonnerie authentique comme l’un des derniers dépositaires occidentaux de la Tradition, ce qui ne fait qu’accentuer son dédain pour ce qu’elle est devenue à son époque : une coterie de matérialistes arrogants et corrompus, un instrument politique au service des lins les plus égoïstes.

C’est dès cette époque formatrice, alors qu’il n’a encore que vingt-cinq ans, qu’il publie dans l’éphémère revue La Gnose deux articles restés des classiques de la pensée guénonienne : "L’homme et son devenir selon le Védanta" et "le symbolisme de la croix". Dès l’origine, tout est présent : la présentation, pour la première fois en Occident, d’un Orient authentique et comme connu de l’intérieur, et l’affirmation d’une Tradition initiatique universelle formant le cœur vivant de toute religion, y compris le christianisme ; l’attention prêtée au langage symbolique, matrice de toute connaissance transformante, ainsi qu’une vision de l’humain se réalisant dans et par l’intellect, hors de tout salmigondis magique et réaliste. Ce n’est certainement pas aller trop loin que d’affirmer que Guénon est l’un des types les plus purs de l’idéaliste - si l’on n’oublie pas qu’il s’est toujours élevé avec raison contre le prétendu "esprit de système" qui voudrait réduire la matière à l’esprit ou inversement, sans jamais parvenir à saisir ni l’émergence de cette dualité, ni sa résolution dans une réalité d’ordre supérieur.

Les sources traditionnelles d’une œuvre majeure

On s’est beaucoup interrogé sur les sources auxquelles René Guénon a puisé une connaissance si intime des doctrines ésotériques indiennes, en un temps où les doctrines orientales sont pour ainsi dire entièrement inconnues des Européens. La seule hypothèse satisfaisante, et qui ne manque pourtant pas d’apparaître fantastique aux non-initiés, est qu’il fut effectivement en contact avec un ou des maîtres indiens de passage en Occident qui, reconnaissant en lui un esprit d’exception et partageant son inquiétude quant à l’avenir spirituel de la civilisation occidentale, lui confièrent ces secrets avec pour mission de les faire connaître. Supposition hardie, mais qui seule permet de rendre compte de l’authenticité de l’œuvre indianiste de René Guénon. Il n’y là rien d’impossible non plus : de tels maîtres voyagent toujours à l’insu du monde profane, sans même devoir faire des efforts de dissimulation, tant la foule béate et angoissée consacre toute son attention aux gesticulations futiles des ministres et aux amours papillonnantes des vedettes... En ce qui concerne le versant occidental de la tradition, nous savons par ailleurs que son contemporain et proche Louis Charbonneau-Lassay, auteur d’un hallucinant Bestiaire du Christ (réédité en avril 2006 chez Albin Michel), était en contact avec une confrérie très secrète remontant au Moyen Âge, l’Estoile internelle. De telles correspondances souterraines ne doivent donc pas surprendre, pas plus que le silence pudique qui les entoure.

Cette partie de l’œuvre guénonienne, qui comporte en outre La Grande Triade (sur le taoïsme), Aperçus sur l’initiation, etc., la plus classique en apparence, est sans doute la plus difficile à appréhender justement.

Certes, on pourrait énumérer ses grands préceptes : réalité d’une vérité initiatique identique à elle-même à travers les différents costumes exotériques qu’elle assume (et qu’on appelle religions), notion de cycles cosmiques et historiques, possibilité d’un éveil à un autre état de conscience dont les vues ne peuvent s’exprimer qu’au moyen du symbole, nécessité d’une initiation auprès d’un maître, et ainsi de suite. Par définition, un tel inventaire ne peut que présenter épars des fragments d’une doctrine qui défie toute tentative d’enfermement dans un système : vérité suprême, il n’y a rien qui soit hors d’elle-même et qui pourrait ainsi la définir. La Tradition, telle que la présente Guénon dans ses œuvres, s’appréhende par et pour elle-même dans un effort de l’intellect humain qui s’immerge en elle. Elle est donc avant tout une expérience qui ne peut s’acquérir que par une fréquentation humble et assidue des sources authentiques dont les textes guénoniens se veulent une version fidèle.
Trois réactions à l’œuvre de Guénon sont alors possibles. Soit le lecteur n’est pas prêt à adopter cette forme de pensée, et il ne verra alors que la présentation maladroite d’une religiosité primitive et exotique - ce que Jean Monet appelait des "marottes orientales", Soit la personne est déjà initiée à l’un ou l’autre des ésotérismes authentique : celle-là ne verra chez Guénon que la confirmation, un peu plate il faut l’avouer, de ce qu’il savait depuis longtemps, en fait depuis toujours, et retournera bien vite à des études plus poussées. Seul celui qui se tient au seuil, sans le savoir bien souvent quand il ouvre pour la première fois un livre signé Guénon, aura peut-être la chance de commencer son véritable chemin par la voie princière que traça un jeune homme monté de Blois à Paris il y a exactement cent ans. René Guénon est par excellence un initiateur : incompréhensible pour ceux qui ne sont pas mûrs, superflu pour ceux qui sont déjà en route. Et précieux pour tous les autres.

Un pourfendeur des vieux ésotérismes

Face à cette voie qui n’en reste pas moins un passage étroit, ardu et pour tout dire assez ingrat pour quiconque reste attaché au boulet de l’ego, proliféraient déjà au tournant du siècle dernier, outre les obédiences occultistes déjà mentionnées, divers groupes parareligieux, au premier rang desquels la Société théosophique de Mme Blavatsky et le spiritisme d’Allan Kardec. Inutile de s’étendre ici sur ces deux mouvements, à chacun desquels René Guénon a consacré une réfutation en règle. En tant que dénominations ils ont, en Europe du moins, pratiquement disparu ; le théosophisme a perdu son crédit à mesure que l’on connut mieux l'inde, et faire tourner les tables est surtout pratiqué par des jeunes adolescents en mal de sensations fortes.
Pour autant, il faut souligner qu’ils sont à la racine d’une large frange des "nouveaux mouvements religieux", depuis les diverses sectes prétendant être instruites par des maîtres ascensionnés appartenant à la très fumeuse "Grande Fraternité blanche" jusqu’aux adeptes du channelling en passant par les lubies ufologiques, le tout étant généralement allègrement mélangé. Typiquement, ces mouvements, qui ne représentent que des parodies toxiques de la véritable connaissance et bloquent l’accès à celle-ci, n’arrivent pas à s’affranchir du préjugé matérialiste et se sentent en conséquence obligés de prêter une réalité physique, tangible à des vérités d’un autre ordre - ainsi des esprits des morts qu’on veut croire capables de se manifester, de maîtres physiquement immortels, etc. Il s’ensuit un décalage tragique entre le réel et ce que les sectaires y projettent, induisant le recours à des théories du complot et in fine à une envie bestiale de supprimer par la violence, physique ou morale, tout ce qui contredit fatalement une conception aussi pathologique des réalités matérielles et spirituelles.

Au delà des dogmes, un ferment de résistance

Autant dire que Guénon est à l’antipode de ces synthèses erronées de l’Orient et de l’Occident, même si en son temps la seule autre solution était vraisemblablement de tourner résolument le dos à la société moderne, irrémédiablement condamnée à la chute et à l’oubli de l’Être.
Converti à l’islam - sans doute devrait-on plutôt dire au soufisme - sous le nom de cheikh ’Abdu-I-Wahid Yahya, c’est-à-dire Jean, serviteur de l’Unique, dès 1912, il se marie peu après à l’Église (tant est grande son indifférence quant aux formes extérieures de la religiosité) et s’installera définitivement en Égypte en 1930.

Si son intérêt initial allait plutôt aux doctrines indiennes, on ne se convertit pas à l’hindouisme et il sut reconnaître dans la mystique musulmane la même Tradition originelle dont le christianisme et la maçonnerie de son temps avaient quasiment perdu jusqu’au souvenir. Seules ses nombreuses contributions au Voile d’Isis puis aux Études traditionnelles le maintiendront en contact avec la France. Là, au cœur de son Orient chéri, il mène une vie retirée du bruit du monde. Certes, ce n’est pas un optimiste - en tout cas, il n’attend rien dans l’immédiat du monde occidental, qui incarne à ses yeux le Kali-Yuga, l’âge des ténèbres matérialistes par excellence. Le monde court à sa perte, et la génération qui a connu les tranchées puis les camps d’extermination pouvait difficilement contredire ce verdict.

Guénon est un des critiques les plus virulents de la société contemporaine, de son amour de la médiocrité, de la passion qu’elle met à tout réduire au niveau le moins signifiant, de l’enthousiasme qu’elle connaît à s’aliéner par les machines et les produits manufacturés - bref, de sa course effrénée par le néant, aveugle qui raille et tue ceux qui refusent l’appel du précipice. Rien n’a changé.

Certes, les dernières décennies ont mis plus de raffinement, plus de glamour dans cette gesticulation épileptique : téléphone portable, télévision satellitaire . . . le dommage n’en est que plus grand. Jamais l’opulence n’a atteint un tel degré, jamais on n’en a autant crevé d’envie et de désespérance. Face à cette critique radicale, certains ont voulu assimiler René Guénon à un précurseur du fascisme, voire du nazisme. Rengaine bien connue, stigmate rabâché qu’on inflige à celui qui refuse de se rouler avec les autres dans la fange. Au demeurant, l’accusation ne tient pas le coup une seconde quand on examine les occurrences où Guénon s’est exprimé sur la question : il est très conscient du caractère pernicieux et maléfique du nazisme. En 1938, à un livre qui prétend dénoncer "l’Orgueil juif’, il réplique que ce sentiment de différence, légitime et rendu nécessaire par la nature même des formes traditionnelles, ne dégénère en sentiment de supériorité que chez le vulgaire, et qu’à tout prendre, l’orgueil est bien le plus insolent de tous. Mais à quelles injures ne recourrait-on pas pour refuser de voir que le nazisme est bien le fruit de notre modernité...

Au demeurant Xavier Accart, dans Guénon ou le Renversement des clartés a bien montré à quel point la pensée guénonienne fut un "ferment de résistance spirituelle" sous l’Occupation, notamment autour de la NRF.

Pour ne pas finir, nous ne pouvons qu’inviter à relire Guénon. Son Orient et son Occident ne sont pas géographiques : chaque tradition, chaque civilisation, mais aussi chaque individu est porteur de cette polarisation spirituelle. Le Kali-Yuga n’est pas une période historique parmi d’autres : il est la période qui couvre toute l’histoire depuis ses débuts, et l’histoire s’achèvera avec lui. Autrement dit, toute l’histoire profane est Kali-Yuga, Mais il est possible, dès à présent, de faire le choix de vivre sous un autre régime temporel, celui de l’âge d’or où les initiés se retrouvent, par-delà les barrières du temps et de l’espace ; ce que Henri Corbin appelait la hiérohistoire. Lire Guénon, c’est savoir où l’on se situe sur la voie de l’accomplissement initiatique. C’est aussi prendre le risque du véritable éveil.

vendredi 30 janvier 2009

La Grande Triade (note de lecture)

Avant-proposLe ternaire Ciel-Terre-Homme = tien-ti-jen (chinois).
B. Favre, Les sociétés secrètes en Chine.


La Triade – Société du Ciel et de la Terre.


Jen (chinois) signifie à la fois „homme” et „humanité” (donc implique aussi une idée de solidarité).


La Triade est connue aussi sous les noms de San-ho (Trois fleuves) et San-tien (Trois points).Wou-wei – le principe du non-agir.En Extrême-Orient, tout ce qui est ésotérique ou initiatique relève nécessairement du Taoïsme.


Tchenn-jen (chinois) = homme véritable.
Cheun-jen (chinois) = homme transcendent.
Pe-lien (chinois) = Lotus blanc.


Les deux parties ésotérique et exotérique de la tradition extrême-orientale se sont divisées en deux branches profondément distinctes: le Taoïsme et le Confucianisme.

L’école bouddhique Tchan a été profondément influencée par le taoïsme. Tchan est la forme chinoise du mot sanscrit Dhyâna (contemplation) et du mot japonai Zen.

Les partisans de la théorie des „emprunts”, suite au constant de certains similitudes entre la Triade et la Maçonnerie, ont avancé l’hypothèse de l’origine historique commune des deux organisations initiatiques. En fait, il ne s’agit que d’une identité de principes.

Chapitre premier. Ternaire et trinité

La Triade taoïste n’a rien en commun avec la trinité chrétienne. Les comparer d’une manière ou d’une autre n’est qu’une assimilation abusive. Une autre assimilation est faite à tort avec la Trimûrti hindoue. „En réalité, dans les deux cas, il s’agit bien évidemment d’un ensemble de trois aspects divins, mais là se borne toute la ressemblance […].”

„C’est avant tout faute de faire les distinctions essentielles entre différents types de ternaires qu’on en arrive à toute sorte de rapprochements fantaisistes et sans la moindre portée réelle, comme ceux auxquels se complaisent notamment les occultistes […].” (p. 19)

L’idée du rapprochement entre les dix principes de la tradition hindoue et les dix Sephiroth de la Kabbale hébraïque a été formulé pour la première fois par Malfatti de Montereggio dans son livre Mathèse.

„[…] la Triade extrême-orientale appartient au genre de ternaire qui sont formés de deux termes complémentaires et d’un troisième terme qui est le produit de l’union de ces deux premiers, ou, si l’on veut, de leur action et réaction réciproque […]” (p. 20)

La trinité égyptienne Osiris, Isis et Horus ne peut pas être réduite à triade chinoise non plus.
Certaines sectes chrétiennes prémodernes ont voulu faire du Saint-Esprit une entité féminine. C’est une erreur, parce que l’opération du Saint-Esprit dans la génération du Christ correspond à l’activité de Purusha, ou du Ciel, selon le langage de la tradition extrême-orientale, pendant que la Vierge est une parfaite image de Prakriti. Christ est identique à l’Homme Universel.


Chapitre II. Différents genres de ternaires

Le premier type de ternaire est celui qui comprend un principe premier, dont dérivent deux termes opposés, ou plutôt complémentaires (Purusha et Prakriti dans la tradition hindoue; le Ciel (Tien) et la Terre (Ti) dans la tradition extrême-orientale – mais sans perdre de vue le principe supérieur dont ils sont dérivés).

Le deuxième type est celui où le ternaire est formé par deux termes complémentaires et par leur produit ou leur résultante. C’est à ce genre qu’appartient la Triade extrême-orientale.

Le principe qui unit Tien et Ti s’appelle Grand Extrême (Tai-ki). Il suppose Wou-ki, le Non-Etre ou le Zéro métaphysique. Il s’appelle ausi Tai-i (Grande Unité).

A la fin, le ternaires chinois sont:
ê (premier type) Tai-ki, Tien et Ti;
ê (deuxième type) Tien, Ti et Jen.

Le Ciel se représente par un cercle. La Terre – par un carré. L’Homme Universel se symbolise par une croix. Le Ciel et la Terre sont deux désignations pour l’Essence et la Substance universelle. L’Homme Universel est le pont qui les unit.


Chapitre III. Ciel et Terre

„Le Ciel couvre, la Terre supporte” – formule traditionnelle chinoise.
Le nombre de dix mille est pris dans le Taoïsme pour signifier tout l’ensemble de la manifestation universelle.

Au sujet du Ciel qui „couvre”, il existe un symbolisme identique inclus dans le mot grec Ouranos, équivalent du sanscrit Varuna, de la racine var (couvrir), et aussi dans le latin Caelum, dérivé de caelare (cacher ou couvrir).

Le Ciel s’assimile à la perfection active (Khien) et la Terre s’assimile à la perfection passive (Khouen). Mais aucun n’atteint la perfection au sens absolu. Le Ciel et la Terre sont respectivement principe masculin et principe féminin.

Dans un complémentarisme comme celui-ci, le terme actif est envisagé comme une ligne verticale et le terme passif comme une ligne horizontale. Au même symbolisme correspondent les deux lettres alif et ba de l’alphabet arabe.

La marche descendente du cycle de la manifestation allant de son pôle supérieur qui est le Ciel à son pôle inférieur qui est la Terre, peut être considérée comme partant de la forme la moins «spécifiée» de toutes, qui est la sphère, pour aboutir à celle qui est au contraire la plus «arrêtée», qui est le cube.

Le Ciel présente au Cosmos une face „ventrale”, intérieure, et la Terre qui les supporte présente une face „dorsale”, donc extérieure.

Tien-hia (sous le Ciel) est employé en chinois pour désigner l’ensemble du Cosmos.
L’«intériorité» appartient au Ciel et l’«extériorité» appartient à la Terre.


Chapitre IV. «Yin» et «Yang»

Yang: actif, positif, masculin, lumière.
Yin: passif, négatif, féminin, ombre.

Ces deux principes ne sont pas opposés, mais complémentaires. La médicine chinoise est basée sur l’idée de déséquilibre d’un de ceux deux principes.

Yang procède de la nature du Ciel, et yin procède de la nature de la Terre.

L’aspect yang correspond à ce qu’il y a de spirituel et d’essentiel et l’Esprit est identifié avec la lumière dans toutes les traditions. L’aspect yin est identifié à la substance, à l’inintelligibilité inhérente à son indistinction ou à son état de pure potentialité.

Avec le langage aristotélicien et scolastique, yang est tout ce qui est „en acte”, pendant que „yin” est tout ce qui est „en puissance”.

Le Ciel est entièrement yang et la Terre est entièrement yin, ce qui revient à dire que l’Essence est acte pur et que la Substance est puissance pure.

Dans toute chose manifestée, yang ou yin ne sont jamais purs. Il y a, selon une formule maçonnique, de la lumière dans les ténèbres (du yang dans le yin) et des ténèbres dans la lumière (du yin dans le yang).

„Si l’on considère spécialement le yang et le yin sous leur aspect d’éléments masculin et féminin, on pourra dire que, en raison de cette participation, tout être est «androgyne» en un certain sens et dans une certaine mesure, et qu’il l’est d’ailleurs d’autant plus complètement que ces deux éléments sont plus équilibrés en lui; le caractère masculin ou féminin d’un être individuel (il faudrait, plus rigoureusement, dire principialement masculin ou féminin) peut être donc considéré comme résultant de la prédominance de l’un ou de l’autre.”

La Terre apparaît par sa face „dorsale” et le Ciel par sa face „ventrale”, c’est pourquoi le yin est „à l’extérieur” et le yang est „à l’intérieur”. Autrement dit, les influences terrestre, qui sont yin, sont seules sensibles, et les influences célestes, qui sont yang, échappent aux sens et ne peuvent être saisies que par les facultés intellectuelles.

Le yin est avant le yang dans une énumération, tout comme les trois gunas hindoues sont tamas, rajas, sattwa, donc allant de l’obscurité à la lumière.

Yang correspond au trait plein. Yin – au trait brisé. Le trait plein et le trait brisé sont des éléments des trigrammes et des hexagrammes du Yi-king.

Le symbole yin-yang représente le „cercle de la destinée individuelle” (p. 43). Il est équivalent de l’Androgyne primordial. Il est aussi l’Œuf du Monde qui, après la séparation, est le Ciel et la Terre.

Il est commode (mais pas totalement vrai) de donner a Tao le nom de Grande Unité.


Chapitre V. La double spirale

Le symbole de la double spirale est étroitement connexe de celui du yin-yang. Il se trouve dans l’art traditionnel des pays les plus divers.

Toute ornementation a originairement un caractère symbolique.

La double spirale est l’élément principal de certains talismans très répandus dans les pays islamiques. Il existe une relation avec les deux sens de rotation du swastika, qui expriment la même double action de la force cosmique.

Dans l’être humain il y a deux lignes, les deux nâdîs ou courants subtils de droite et de gauche, ou positif et négatif (idâ et pingalâ). Une autre figuration est celle des deux serpents du caducée (kêrukeion, indigne des hérauts).

L’Axe du Monde et l’axe de l’être humain (la colonne vertébrale) sont également désignés, en raison de leur correspondance analogique, par le terme Mêru-danda.

L’Œuf du Monde se rapproche du symbolisme du serpent, comme dans le Kneph égyptien est représenté sous la forme d’un serpent qui produit l’œuf par la bouche.
Dans l’art chinois, la forme de la spirale apparaît notamment par la figuration du «double chaos», des eaux supérieures et inférieures (c’est-à-dire des possibilités informelles et formelles), souvent en rapport avec le symbolisme du Dragon.

Le symbole du cygne est la combinaison de celui du serpent avec celui de l’oiseau. L’Œuf du monde peut être un œuf de serpent, mais aussi un œuf de cygne. Hamsa, le véhicule de Brahmâ, est un cygne. Dans la tradition grecque, le symbolisme du cygne était lié à celui de l’Apollon hyperboréen.

Dans les symboles antiques, la double spirale est parfois remplacée par deux ensembles de cercles concentriques, tracés autour de deux points qui représentent encore les pôles.

La catabase est la marche descendante, pendant que l’anabase est la marche ascendante.

La double spiration c’est l’expir et l’aspir universels, par lequels sont produites les „condensations” et les „dissipations” (suivant le langage taoïste), les „coagulations” et les „solutions” (suivant la terminologie hermétique), genesis et phtora, „génération” et „corruption” (selon Aristote), les jours et les nuits de Brahmâ, comme le Kalpa et le Pralaya.


Chapitre IV. „Solve” et „coagula”

La formule „solve” et „coagula” est regardée comme contenant d’une certaine façon tout le secret du Grand Œuvre, en tant que celui-ci reproduit le processus de la manifestation universelle.

Le terme „solve” est parfois représenté par un signe qui montre le Ciel, et le terme „coagula” par un signe qui montre la Terre. Solve peut être assimilé au courant ascendent (yang) et coagula au courant descendant (yin).

Les „condensations” procèdent des influences terrestres, et les dissipations procèdent des influences célestes.

L’ordre yin-yang peut être envisagé de deux manières. Si l’on part de l’état de non-manifestation pour passer au manifesté (le point de vue cosmologique), c’est la condensation (coagulation) qui se présentera naturellement en premier lieu, pendant que la dissipation (solution) viendra ensuite. Si au contraire l’on part de la manifestation on devrait envisager d’abord la tendance aboutissant à la solution de ce qui est dans cet état, pendant qu’une phase ultérieure de coagulation serait le retour à un autre état de manifestation.

„[…] il faut d’ailleurs ajouter que cette «solution» et cette «coagulation», par rapport à l’état antécédent et à l’état conséquent respectivement, peuvent être parfaitement simultanées en réalité.”

„[…] toute attraction produit un mouvement centripète, donc une «condensation», à laquelle correspondra, au pôle opposé, une «dissipation» déterminée par un mouvement centrifuge, de façon à rétablir ou plutôt à maintenir l’équilibre total.” (p. 5

Ce qui est „condensation” sous le rapport de la substance est au contraire une „dissipation” sous le rapport de l’essence, et inversement, ce qui est „dissipation” sous le rapport de la substance est une „condensation” sous le rapport de l’essence.

„[…] toute «transmutation», au sens hermétique de ce terme, consistera proprement à «dissoudre» ce qui était «coagulé» et, simultanement, à «coaguler» ce qui était «dissous», ce deux opérations apparemment inverses n’étant en réalité que les deux aspects complémentaires d’une seule et même opération.”

L’état qui est vie pour le corps est mort pour l’esprit et inversement.

Dans l’initiation a lieu un „retournement”. C’est ce que le symbolisme kabbalistique désigne comme le «déplacement des lumières», et aussi ce que la tradition islamique met dans la bouche des awliyâ: „Nos corps sont nos esprits, et nos esprits sont nos corps.” (ajsâmnâ arwâhnâ, wa arwâhna ajsâmnâ).

Les opérations de „coagulation” et de „solution” correspondent à ce que la tradition chrétienne désigne comme le „pouvoir des clefs” – celui de „lier” et de „délier” (potestas ligandi et solvendi).
La figuration du pouvoir des clés est celle d’une clé en or (correspondant au pouvoir spirituel) et une clé en argent (correspondant au pouvoir temporel). On peut dire que le pouvoir de „lier” correspond au pouvoir temporel, pendant que celui de „délier” au spirituel. Le temporel et le spirituel sont yin et yang l’un par rapport à l’autre.

Les clés peuvent être représentées dans le swastika clavigère, dont chacun des quatre branches peuvent être représentées d’une clef. Son axe verical ou solsticial se rapporte à la fonction sacerdotale, et l’axe horizontal ou équinoxial à la fonction royale.

Le terme spagyrie, qui désigne la médecine hermétique, exprime formellement, par sa composition, la double opération de «solution» et de «coagulation»; l’exercice de la médecine traditionnelle est, dans un ordre particulier, une application du «pouvoir des clefs».

Le pouvoir des clefs correspond au double pouvoir de vajra (hindoue) et dorje (tibétain). Les deux sont figurés par la foudre. Vajra est symbole yang, et son complémentaire féminin est, dans la tradition hindoue, la conque (shankha), et dans la tradition tibétaine la clochette rituelle (dilbu).

„[…] le pouvoir du vajra, ou le «pouvoir des clefs» qui lui est identique au fond, impliquant le maniement et la mise en œuvre des forces cosmiques sous leur double aspect de yin et de yang, n’est en définitive rien d’autre que le pouvoir même de commander à la vie et à la mort.” (p. 64)
Les deux solstices s’assimilent au Nord (celui d’hiver) et au Sud (celui d’été), pendant que les deux équinoxes s’assimilent à l’Est (printemps) et à l’Ouest (automne).

Le pouvoir de provoquer des orages a été considéré, chez les peuples les plus divers, comme une sorte de conséquence de l’initiation.


Chapitre VII. Questions d’orientation

„A l’époque primordiale, l’homme était, en lui-même, parfaitement équilibré quant au complémentarisme du yin et du yang; d’autre part, il était yin ou passif par rapport au Principe seul, et yang ou actif par rapport au Cosmos ou à l’ensemble des choses manifestées; il se tournait donc naturellement vers le Nord, qui est yin, comme vers son propre complémentaire. Au contraire, l’homme des époques ultérieures, par suite de la dégénérescence spirituelle qui correspond à la marche descendente du cycle, est devenu yin par rapport au Cosmos; il doit donc se tourner vers le Sud, qui est yang, pour en recevoir les influences du principe complémentaire de celui qui est devenu prédominant en lui, et pour rétablir, dans la mesure du possible, l’équilibre entre le yin et le yang.” (p. 64)

L’orientation vers le Nord est polaire, pendant que celle vers le Sud est solaire.

Dans les cartes et les plans chinois, le Sud est placé en haut et le Nord en bas, l’Est à gauche et l’Ouest à droite, ce qui est conforme à la seconde orientation; cet usage n’est d’ailleurs pas assez exceptionnel qu’on pourrait croire, car il existait aussi chez les anciens Romains et subsista même pendant une partie du moyen âge occidental.

En Chine, le côté auquel on accorde la prééminence est la gauche. Mais à l’époque de Sseu-ma-tsien, au IIe siècle avant l’ère chrétienne, la droite semble l’avoir au contraire emporté sur la gauche. Le „conseiller de droite” (iou-siang) avait un rôle plus important que le „conseiller de gauche” (tso-siang).

A l’époque de Lao-tseu la gauche correspondait au yang et la droit au yin.

En hébreu la „droite” signifie toujours le Sud et la „gauche” le Nord, ce qui implique que l’orientation est prise, comme dans l’Inde, en se tournant vers l’Est. Ce même mode d’orientation était pratiqué par les constructeurs du moyen âge pour déterminer l’orientation des églises.


Chapitre VIII. Nombres célestes et nombres terrestres

Les nombres impairs correspondent au yang, sont masculins ou actifs, et les nombres pairs correspondent au yin, sont féminims ou passifs. Les nombres impairs sont „célestes”, et les nombres pairs sont „terrestres”.

L’unité n’est pas considéré nombre, elle est proprement le principe même du nombre. C’est donc 2 le premier nombre par (qui appartient à la Terre) et 3 le premier nombre impair (qui appartient au Ciel). La Terre est donc avant le Ciel, tout comme yin est avant yang.

Pour d’autre nombres se sont produits des inversions inexplicables: 5, nombre impair, est attribué à la Terre, pendant que 6, nombre pair – au Ciel. On parle à ce propos d’un échange „hiérogamique” entre les attributs des deux principes complémentaires.

En Chine ce n’est pas l’ordre cosmique qui a été conçu sur le modèle des institutions sociales, mais ce sont bien celles-ci qui ont été établies en correspondance avec l’ordre cosmique lui-même.

„[…] tous les complémentarismes, de quelque type qu’il soient, ont également leur principe dans la première de toutes les dualités, qui est celle de l’Essence et de la Substance universelles, ou, suivant le langage symbolique de la tradition extrême-orientale, celle du Ciel et de la Terre.” (p. 77)

Pour les Pythagoriciens, 5 était le „nombre nuptial”, somme du premier nombre pair ou féminin (2) et du premier nombre impair ou masculin (3).

Tandis que 2 et 3 expriment la nature même de la Terre et du Ciel, 5 et 6 expriment leur „mesure”, ils les envisagent du point de vue de la manifestation et non plus en eux-mêmes.

Les doubles de 5 et 6 sont 10 (attribué au Ciel) et 12 (attribué à la Terre). Dans la tradition chinoise, les jours sont comptés par périodes décimales et les mois par périodes duodécimales; or dix jours sont dix soleils, et douze mois sont douze lunes; les nombres 10 et 12 sont donc rapportés ainsi respectivement le premier au Soleil, qui est yang et masculin, correspondant au Ciel, au feu et au Sud, et le second à la Lune, qui est yin ou féminine, correspondant à la Terre, à l’eau et au Nord.

Le nombre 11, en tant qu’union de 5 et 6, est l’union centrale du Ciel et de la Terre. C’est le nombre par lequel se constitue la Voie du Ciel et de la Terre. Cette importance du nombre 11 est le point commun aux doctrines traditionnelles les plus diverses.


Chapitre IX. Le fils du ciel et de la terre

„Le Ciel est son père, la Terre est sa mère” – formule initiatique.

L’homme véritable est celui qui possède vraiment la plénitude de la nature humaine, ayant développé en lui l’intégralité des possibilités qui y sont impliquées; les autres hommes n’ont en somme qu’une potentialité humaine plus ou moins développée dans quelques-uns de ses aspects.
Les hommes ordinaires sont plutôt fils de la Terre que du Ciel, ils sont yin par rapport au Cosmos.

L’homme véritable est parfaitement équilibré sous le rapport du yang et du yin, et, en même temps, la nature céleste ayant nécessairement la prééminence sur la nature terrestre, il est yang par rapport au Cosmos.

„[…] «l’homme véritable» est aussi l’«homme primordial», c’est-à-dire que sa condition est celle qui était naturelle à l’humanité à ses origines, et dont elle s’est éloignée peu à peu, au cours de son cycle terrestre, pour en arriver jusqu’à l’état où est actuellement ce que nous avons appelé l’homme ordinaire, et qui n’est proprement que l’homme déchu.” (p. 85)

La déchéance spirituelle attire un déséquilibre sous le rapport du yang et du yin.

„Ces êtres, au contraire, l’«homme primordial», au lieu de se situer simplement parmi eux, les synthétisait tous dans son humanité pleinement réalisée; a du fait même de son «intériorité», enveloppant tout son état d’existence comme le Ciel enveloppe toute la manifestation (car c’est en réalité le centre qui contient tout), il les comprenait en quelque sorte en lui-même comme des possibilités particulières incluses dans sa propre nature; et c’est pourquoi l’Homme, comme troisième terme de la Grande Triade, représente effectivement l’ensemble de tous les être manifestés.” (pp. 85-86)

La distinction entre l’«homme véritable» et l’«homme transcendant» est celle d’entre l’homme individuel parfait comme tel et l’«Homme Universel».

„L’homme véritable est donc celui qui est parvenu effectivement au terme des «petits mystères», c’est-à-dire à la perfection même de l’état humain; par là, il est désormais établi définitivement dans l’«Invariable Milieu» (Tchoung-young), et il échappe dès lors aux vicissitudes de la «roue cosmique», puisque le centre ne participe pas au mouvement de la roue, mais est le point fixe et immuable autour duquel s’effectue ce mouvement. Ainsi, sans avoir encore atteint le degré suprême qui est le but final de l’initiation et le terme des «grands mystères», l’«homme véritable», étant passé de la circonférence au centre, de l’«extérieur» à l’«intérieur», remplit réellement, par rapport à ce monde qui est le sien, la fonction du «moteur immobile», dont l’«action de présence» imite, dans son domaine, l’activité «non-agissante» du Ciel.” (p. 87)


Chapitre X. L’Homme et les trois mondes

„Lorsqu’on compare entre eux différents ternaires traditionnels, s’il est réellement possible de les faire correspondre terme à terme, il faut bien se garder d’en conclure que les termes correspondants sont nécessairement identiques, et acela même dans les cas où certains de ces termes portent des désignations similaires, car il peut très bien se faire que ces désignations soient appliquées par transposition analogique à des niveaux différents.”

Tribhuvada hindou est composé de trois mondes: Terre (Bhû), Atmosphère (Bhuvas) et Ciel (Swar). Mais Ciel et Terre hindoue ne correspondent pas à Tien et Ti chinois (ces derniers correspondent à Purusha et Prakriti hindous).

„[…] les «trois mondes» représentent […] l’ensemble de la manifestation elle-même, divisée en ses trois degrés fondamentaux, qui constituent respectivement le domaine de la manifestation informelle, celui de la manifestation subtile, et celui de la manifestation grossière ou corporelle.”
La manifestation informelle est celle où prédominent les influences célestes; la manifestation corporelle est celle où prédominent les influences terrestres. La manifestation subtile procède des deux états.

Il existe une analogie constitutive entre le macrocosme et le microcosme.

L’homme appartient par l’esprit au domaine de la manifestation informelle, par l’âme à celui de la manifestation subtile et par le corps à celui de la manifestation grossière. „C’est d’ailleurs l’homme, et par là il faut entendre surtout l’«homme véritable» ou pleinement réalisé, qui, plus que tout autre être, est véritablement le «microcosme», et acela encore en raison de sa situation «centrale», qui en fait comme une image ou plutôt comme une «somme» (au sens latin de ce mot) de tout l’ensemble de la manifestation, sa nature, comme nous le disions précédemment, synthétisant en elle-même celle de tous les autres êtres, de sorte qu’il ne peut rien se trouver dans la manifestation qui n’ait dans l’homme sa représentation et sa correspondance.” (p. 91)
Il existe une correlation entre les modifications de l’ordre humain et celles de l’ordre cosmique.


Chapitre XI. „Spiritus”, „anima”, „corpus”

„La division ternaire est la plus générale et en même temps la plus simple qu’on puisse établir pour définir la constitution d’un être vivant, et en particulier celle de l’homme, car il est bien entendu que la dualité cartésienne de l’«esprit» et du «corps», qui s’est en quelque sorte imposée à toute la pensée occidentale moderne, ne saurait en aucune façon correspondre à la réalité; […].” (p. 94)

Toutes les traditions admettent la distinction: esprit, âme et corps. Il n’y a que la modernité occidentale qui fait la confusion entre esprit et âme. Cette erreur a des conséquences qui ne sont pas uniquement théoriques.

La distinction de l’esprit et de l’âme est appliquable à celle d’entre macrocosme et microcosme.

Les Pythagoriciens envisageaient un quaternaire fondamental: le Principe, transcendant par rapport au Cosmos, puis l’Esprit et l’Ame universels, et enfin la Hylê primordiale.

„[…] du côté «essentiel», l’Esprit et l’Ame sont, à des niveaux différents, comme des «réflexions» du Principe même de la manifestation; du côté «substantiel», ils apparaissent au contraire comme des «productions» tirées de la materia prima, bien que déterminant eux-mêmes ses productions ultérieures dans le sens descendant, et cela parce que, pour se situer effectivement dans le manifesté, il faut bien qu’ils deviennent eux-mêmes partie intégrante de la manifestation universelle.” (p. 97)

Buddhi – Intellect pur (correspondant à Spiritus et à la manifestation informelle);
Atmâ – Principe transcendant.

Le corps représente la passivité substantielle, sans être la Substance elle-même.
Dans le ternaire ésprit-âme-corps, les deux premiers termes se situent d’où même côté par rapport au troisième. „[…] le corps a dans l’âme son principe immédiat mais il ne procède de l’esprit qu’indirectement et par l’intermédiaire de l’âme.”

L’âme, en tant qu’intermédiaire entre l’esprit et le corps, est un principe «médiateur». L’esprit et l’âme sont d’une certaine manière complémentaire, l’esprit est yang et l’âme est yin. Le premier est symbolisé par le Soleil, l’autre par la Lune. L’esprit est la lumière émanée directement du Principe, tandis que l’âme est une réflexion de cette lumière.

Le serpent est un des symboles d’Anima Mundi parce que, bien qu’agissant aussi dans le monde corporel, appartiennent en elles-mêmes à l’ordre subtil.

Le carré posé sur un de ses angles suggère l’idée de mouvement, tadis que le carré reposant sur sa base exprime l’idée de stabilité.


Chapitre XII. Le Soufre, le Mercure et le Sel

Le ternaire alchimique: Soufre, Mercure et Sel. Le complémentarisme des deux premiers termes et beaucoup plus accentué que celui d’entre l’esprit et l’âme. Le Souffre est envisagé comme principe actif masculin, pendant que le Mercure comme principe passif féminin. Le Sel est en quelque sorte neutre.

Le Souffre, assimilé au principe igné, est le principe d’activité intérieure, irradiant à partir du centre même de l’être. Cette force est identifiée dans l’homme à la puissance de la volonté divine. Le mot grec theion, désignation du Soufre, signifie en même temps «divin».

„[…] tout ce qu’envisage la psychologie est simplement «périphérique» et ne se rapporte en somme qu’à des modifications superficielles de l’être.” (p. 103)

Le Mercure, à cause de sa passivité, est un principe humide. Parmi ses désignations alchimique est aussi celle de humide radical. Il est considéré comme agissant de l’extérieur en tant que force centripète et compressive. Il s’oppose à l’action centrifuge et expansive du Soufre.

Le Soufre est yang et le Mercure est yin.

De l’action intérieure du Soufre et de l’action extérieure du Mercure se produit une cristallisation. Le produit de cette cristallisation est le Sel. C’est la „pierre cubique” du symbolisme maçonnique.

Il existe un rapport évident entre le Soufre et l’esprit et entre le Mercure et l’âme.

On ne peut pas identifier sans réserves le Sel au corps, celui-ci correspond au Sel sous un certain aspect ou dans une application particuière du ternaire alchimique. Dans une autre application, c’est l’individualité tout entière qui correspond au Sel, dans ce cas le Soufre est le principe de l’être et le Mercure est l’ambiance subtile d’un certain monde ou état d’existence.

„Pour reprendre un symbolisme que nous avons déjà employé précédemment, le Soufre est comparable au rayon lumineux et le Mercure à son plan de réflexion, et le Sel est le produit de la rencontre du premier avec le second; […].” (p. 108)


Chapitre XIII. L’Etre et le milieu

La nature humaine est formée de deux parties:
ê l’être en lui-même, qui représente son côté intérieure et actif;
ê l’ensemble des influences du milieu dans lequel il se manifeste, et qui représentent son côté extérieur et passif.

Dans le symbole de la croix: „[…] la verticale représente alors ce qui relie entre eux tous les états de manifestation d’un même être, et qui est nécessairement l’expression de cet être même, ou, si l’on veut, de sa «personnalité», la projection directe par laquelle celle-ci se reflète dans tous les états, tandis que le plan horizontal représentera le domaine d’un certain état de manifestation, envisagé ici au sens «macrocosmique»; par conséquent, la manifestation de l’être dans cet état sera déterminée par l’intersection de la verticale considérée avec ce plan horizontal.” (p. 109-110)

L’être se manifeste en se revêtant d’éléments empruntés à l’ambiance, et dont la cristallisation sera déterminée par l’action, sur cette ambiance, de sa propre nature interne.

Il y a non seulement une hérédite physiologique, mais aussi une hérédité psychique, l’une et l’autre s’expliquant par la présence, dans la constitution de l’individu, d’éléments empruntés au milieu spécial où sa naissance a eu lieu. „Or, en Occident, certains refusent d’admettre l’hérédité psychique, parce que, ne connaissant rien au-delà du domaine auquel elle se rapporte, ils croient que ce domaine doit être celui qui appartient en propre à l’être lui-même, qui représente ce qu’il est indépendamment de toute influence du milieu. D’autres, qui admettent au contraire cette hérédité, croient pouvoir en conclure que l’être, dans tout ce qu’il est, est entièrement déterminé par le milieu, qu’il n’est rien de plus ni d’autre que ce que celui-ci le fait être, parce qu’eux non plus ne conçoivent rien en dehors de l’ensemble des domaines corporel et psychique.” (p. 111) Ce sont deux visages du même erreur: celle d’avoir réduit l’être à sa seule manifestation individuelle, et d’avoir ignoré tout principe transcendant par rapport à celle-ci.

La dualité cartésienne «corps-âme» laisse abusivement l’esprit de côté. Cette dualité équivaut à celle du physiologique et du psychique, considérée comme irréductible et comprenant tout l’être dans ses deux termes. En réalité, cette dualité comprend uniquement les aspects superficiels et extérieurs de l’être manifesté, apparentant au plan horizontal de l’existence.

„[…] la situation de l’être dans le milieu étant déterminée en définitive par sa nature propre, les éléments qu’il emprunte à son ambiance immédiate, et aussi ceux qu’il attire en quelque sorte à lui de tout l’ensemble indéfini de sont domaine de manifestation […] doivent être nécessairement en correspondance avec cette nature, sans quoi il ne pourrait se les assimiler effectivement de façon à en faire comme autant de modifications secondaires de lui-même.” (p. 113)
L’être ne prend au milieu que ce qui est conforme à ses possibilités.

„[…] les véritables causes de tout ce qui arrive à un être sont toujours, au fond, les possibilités qui sont inhérentes à la nature même de cet être, c’est-à-dire quelque chose d’ordre purement intérieur.” (p. 113)

La relation qu’un être a avec un autre est la traduction, par rapport au milieu, d’une possibilité inhérente à la nature propre de cet être lui-même.
Jâti (sanscr.) – naissance; espèce ou nature spécifique;
Les astres représentent la synthèse de toutes les catégories diverses d’influences cosmiques qui s’exercent sur l’individualité, et dont la plus grande partie appartient proprement à l’ordre subtil.

„La vraie détermination ne vient pas du dehors, mais de l’être lui-même […], et les signes extérieurs permettent seulement de la discerner, en lui donnant en quelque sorte une expression sensible, tout au moins pour ceux qui sauront les interpréter correctement.” (p. 118)
Chaque être participe d’une double nature, „sulfureuse” à l’intérieur et „mercurielle” à l’extérieur.


Chapitre XIV. Le médiateur

„Il monte de la Terre au Ciel, et redescend du Ciel en Terre; il reçoit par là la vertu et l’efficacité des choses supérieures et inférieures […]” (Table d’Emeraude) – ces paroles s’appliquent à l’Homme comme médiateur entre le Ciel et la Terre.

La tradition extrême-orientale dit qu’à l’origine le Ciel et la Terre n’étaient pas séparés, mais, pour que la manifestation puisse se produire, il faut que l’Etre se polarise effectivement en Essence et Substance. Dès lors, leur communication s’établit uniquement par l’Axe du Monde.
Tchoung-young (chinois) = Invariable Milieu.

Le sceau de Solomon est formé de deux triangles superposés: le triangle droit est la nature céleste et le triangle inversé la nature terrestre, et l’ensemble symbolise l’«Homme Universel», le médiateur par excellence.

Un autre symbole extrême-oriental est celui de la tortue qui est placée entre les deux parties supérieure et inférieure de son écaille, comme l’Homme entre le Ciel et la Terre. Sa rétractation à l’intérieur de l’écaille symbolise la concentration dans l’«état primordial», qui est l’état de l’homme véritable, est cette concentration est d’ailleurs la réalisation de la plénitude des possibilités humaines, car, bien que le centre ne soit apparemment qu’un point sans étendue, c’est pourtant ce point qui, principiellement, contient toutes choses en réalité.

Un exemple d’action rituelle est la circumambulation de l’Empereur dans le Ming-tang, image de l’Univers concentrée en un lieu qui représentait l’Invariable Milieu.


Chapitre XV. Entre l’équerre et le compas

Le compas et l’équerre correspondent symboliquement au cercle et au carré, c’est-à-dire aux figures géométriques qui représentent respectivement le Ciel et la Terre.

Dans le symbolisme maçonnique, le compas est normalement placé en haut et l’équerre en bas, entre les deux est figurée l’Etoile flamboyante, qui est un symbole de l’Homme. L’Etoile à cinq branches est une figuration du microcosme. L’Etoile flamboyante est le symbole de l’homme régénéré, du Maçon.

La Loge des Maîtres est appelée la Chambre du Milieu.

„[…] la Maîtrise représente l’achèvement des «petits mystères», dont l’état de l’«homme véritable» est le terme même […].” (p. 129)

Le compas, symbole «céleste», donc yang ou masculin, appartient proprement à Fo-hi, et l’équerre, symbole «terrestre», donc yin ou féminin, à Niu-koua, mais quand ils sont représentés ensemble et unis par leurs queues de serpents, c’est au contraire Fo-hi qui porte l’équerre et Niu-koua le compas.

Chapitre XVI. Le «Ming-tang»

5 est le nombre central de la Terre. 6 est le nombre central du Ciel.

Il ne faut pas s’étonner de la situation „centrale” attribuée à l’Empire chinois par rapport au monde; il en fut toujours de même pour toute contrée où était établi le centre spirituel d’une tradition. La contrée qui possédait un tel centre était par là même „Terre Sainte”, le point où se reflète directement l’activité du Ciel.

Si l’Empire chinois était une image de l’Univers, la même chose est Ming-tang, la maison de l’empereur. Certains sinologies l’ont appelée la «Maison du Calendrier», mais la traduction littérale est „Temple de la Lumière».

Tsing (chinois) = obscurité.
Ming (chinois) = lumière.

„[…] l’Empereur apparaissait proprement comme le «régulateur» de l’ordre cosmique même, ce qui suppose d’ailleurs l’union, en lui ou par son moyen, des influences célestes et des influences terrestres […]” (p. 142)

Le «Wang» ou le roi-pontife
Wang (chinois) = roi.

L’idéogramme wang est composée de trois traits horizontaux figurant respectivement le Ciel, l’Homme et la Terre, et unis en ouvre, en leur milieu, par un trait vertical, car, disent les étymologistes, «la fonction du Roi est d’unir».

„Ce que ce caractère désigne proprement, c’est donc l’Homme en tant que terme médian de la Grande Triade, et envisagé spécialement dans son rôle de «médiateur»; nous ajouterons, pour plus de précision encore, que l’Homme ne doit pas être considéré ici seulement comme l’«homme primordial», mais bien comme l’«Homme Universel» lui-même […].” (pp. 144-145)
Tchoung-Tao – Voie du Milieu.

„En tant que le Wang s’identifie à l’axe vertical, celui-ci est désigné comme la «Voie Royale» (Wang-Tao); mais, d’autre part, ce même axe est aussi la «Voie du Ciel» (Tien-Tao)
[…].” (p. 147)

Wang est Pontifex, selon la plus rigoureuse étymologie du nom. Il est „celui qui fait le pont” et le „pont” lui-même par lequel s’opère la communication avec les états supérieurs.

„C’est pourquoi nous pensons que l’expression de «Roi-Pontife» est la seule qui puisse rendre convenablement le terme Wang, parce qu’elle est la seule qui exprime complètement la fonction qu’il implique; et l’on voit ainsi que cette fonction présente un double aspect, car elle est à la fois, en réalité, une fonction sacerdotale et une fonction royale.” (p. 149)

Le Roi-Pontife rappelle les Rois-Mages.

Le Wang a reçu le mandat du Ciel directement ou indirectement. Dans le dernier cas il remplit une fonction à la manière rituèle, même s’il n’est pas préparé pour cela à intérieur. De la même manière il existe une transmission de l’influence spirituelle ou barakah, par cette transmission, un Khalîfah peut tenir la place du Sheikh et remplir valablement sa fonction, sans pourtant être parvenu effectivement au même état spirituel que celui-ci.


Chapitre XVIII. L’Homme véritable et l’homme transcendant

Tchenn-jen (chinois) – l’homme véritable, est celui qui a atteint la plénitude de l’état humain.
Cheun-jen (chinois) – l’homme transcendant, l’homme divin, l’homme spirituel, celui a a réalisé l’Identité Suprême. Il n’est plus un homme, au sens individuel de ce mot, puisqu’il a dépassé l’humanité et est entièrement affranchi de ses conditions spécifiques.

L’homme transcendant et l’homme véritable correspondent au terme des grands mystères et à celui des petits mystères, et sont les plus hauts degrés de la hiérarchie taoïste.

Les étapes des petits mystères taoïstes:

í tao-jen (l’homme de la Voie);
í tcheu-jen (l’homme doué);
í cheng-jen (l’homme sage).
L’hiérarchie confucianiste comprend trois degrés:
ð cheu (le lettré);
ð hien (le savant);
ð cheng (le sage).

Il est dit: „Le cheu regarde (prend pour modèle) le hien, le hien regarde le cheng, le cheng regarde le Ciel”.

Aux yeux des hommes ordinaires, l’homme transcendant et l’homme véritables ne peuvent pas être distingués.


Chapitre XIX. « Deus », « Homo », « Natura »

Une triade traditionnelle occidentale, telle qu’elle existait encore au moyen âge: Deus, Homo, Natura.

L’Homme est manifestement le même que dans la Grande Triade.

Dieu ne peut être envisagé comme le Principe tel qu’il en soi, car celui-ci, étant au-delà de toute distinction, ne peut entrer en corrélation avec quoi que ce soit, et la façon dont le ternaire se présente implique une certaine corrélation, et même une sorte de complémentarisme, entre Dieu et la Nature.

„Dieu” est dans cette triade l’objet de ce qu’on appelait «théologie rationnelle». Or, ce qui est rationnel n’atteint pas le Principe même. A cette réserve et selon ces explications, Dieu de la triade occidentale correspond au Ciel, parce que le Ciel est l’instrument du Principe.

Mûla-Prakriti (hindou) – la Nature primordiale et indifférenciée qui est la racine de toutes choses.
El-Fitrah (ar.) – Nature primordiale.
El-tahiyah (ar.) – nature manifestée.

Dans les langues occidentales on ne peut pas faire la différence entre la Nature primordiale et la nature manifestée.

„[…] ce qui est «divin», étant nécessairement «intérieur» à toutes choses [Regnum Dei intra vos est], agit, par rapport à l’homme, à la façon d’un principe «sulfureux», tandis que ce qui est «naturel», constituant l’«ambiance», joue par là même le rôle d’un principe «mercuriel» […] et l’homme, produit du «divin» et de la «nature» tout à la fois, se trouve situé ainsi, comme le Sel, à la limite commune de cet «intérieur» et de cet «extérieur», c’est-à-dire, en d’autres termes, au point où se rencontrent et s’équilibrent les influences célestes et les influences terrestres.” (p. 164)


Le mot natura en latin, de même que son équivalent physis en grec, contient essentiellement l’idée de devenir. La nature manifestée est «ce qui devient».


Chapitre XX. Déformations philosophiques modernes

Bacon regarde encore les trois termes Deus, Homo, Natura comme constituant trois objets de la connaissance distincts. Mais la priorité est accordée à la „philosophie naturelle” à découvrir selon des méthodes expérimentales.

Descartes aussi s’attache à la physique, qu’il prétend expliquer selon des modèles mathématiques.

Au XIXe siècle Auguste Comte, avec la „loi des trois états”, détourne complétement la vision traditionnelle („car il y a là un exemple assez curieux de la façon dont l’esprit moderne peut dénaturer une donnée d’origine traditionnelle, lorsqu’il s’avise de s’en emparer au lieu de la rejeter purement et simplement” – p. 168).

L’erreur fondamentale de Comte est de s’imaginer que, quel que soit le genre de spéculation auquel l’homme s’est livré, il ne s’est jamais proposé rien d’autre que l’explication des phénomènes naturels. Donc, toute connaissance serait une tentative plus ou moins imparfaite d’explication de ces phénomènes.

Auguste Comte trouve trois étapes dans l’explication du monde: « l’état théologique », qui aboutit à l’idée de Dieu, « l’état métaphysique », qui aboutit à l’idée de Nature, et « l’état positif », qui aboutit à l’idée d’Homme.

„[…] et même, en réalité, ce «monothéisme» seul a existé toujours et partout, sauf, du fait de l’incompréhension du vulgaire et dans un état d’extrême dégénérescence de certaines formes traditionnelles.” (p. 169)


Chapitre XXI. Providence, Volonté, Destin

Au ternaire Deus, Homo, Natura, correspond rigoureusement celui formé par Providence, Volonté, Destin.

Fabre d’Olivet, Histoire philosophique du Genre humain (publié d’abord sous le titre De l’Etat social de l’Homme).

Fabre d’Olivet: „Que l’Homme universel soit une puissance, c’est ce qui est constaté par tous les codes sacrés des nations, c’est ce qui est senti par tous les sages, c’est ce qui est même avoué par les vrais savants… Les deux autres puissances, au milieu desquelles il se trouve placé, sont le Destin et la Providence. Au-dessous de lui est le Destin, nature nécessitée et naturée; au-dessus de lui est la Providence, nature libre et naturante. Il est, lui, comme règne hominal, la Volonté médiatrice, efficiente, placée entre ces deux natures pour leur servir de lien, de moyen de communication, et réunir deux actions, deux mouvements qui seraient incompatibles sans lui.” (apud p. 173)

Providence – Natura naturans / Ciel / yang
Destin – Natura naturata / Terre / yin

Fabre d’Olivet: „Ces trois puissances, la Providence, l’Homme considéré comme règne hominal, et le Destin, constituent le ternaire universel. Rien n’échappe à leur action, tout leur est soumis dans l’Univers, tout, excepté Dieu lui-même qui, les enveloppant de son insondable unité, forme avec elles cette tétrade des anciens, cet immense quaternaire, qui est tout dans tous, et hors duquel il n’est rien.” (apud pp. 173-174)

La Volonté humaine est l’élément intérieur et central qui unifie et enveloppe les trois sphères intellectuelle, animique et instinctive (esprit, âme et corps). La Volonté chez F. d’Olivet est l’image du Principe même dans l’homme. La Volonte doit être rapprochée de Soufre (sinon on risque de faire une malheureuse confusion avec une catégorie psychologique).

La Volonté humaine, en s’unissant à la Providence et en collaborant consciemment avec elle, peut faire équilibre au Destin et arriver à le neutraliser (Sapiens dominabitur astris).

L’homme choisit entre la Providence (unité, tendance ascendante – sattwa) et Destin (multiplicité, tendance descendante – tamas).

La relation pythagoricienne: 32 + 42 = 52 La Providence est représentée par 3, la Volonté humaine par 4, le Destin par 5. 3 est nombre céléste, 5 – nombre terrestre.


Chapitre XXII. Le triple temps

Il existe un triple espace: le haut, le bas et au milieu un niveau de référence qui correspond à l’état humain.

Les trois gunas de la tradition hindoue correspondent respectivement: sattwa au Ciel, rajas à l’Homme et tamas à la Terre.

„Si le plan médian est regardé comme un plan diamétral d’une sphère (qui doit d’ailleurs être considérée comme de rayon indéfini, puisqu’elle comprend la totalité de l’espace), les deux hémisphères supérieur et inférieur sont, suivant un autre symbolisme dont nous avons déjà parlé, les deux moitiés de l’«Œud du Monde», qui, après leur séparation, réalisé par la détermination effective du plan médian, deviennent respectivement le Ciel et la Terre, entendus ici dans leur acception la plus générale; au centre du plan médian lui-même se situe Hiranyagarbha, qui apparaît ainsi dans le Cosmos comme l’«Avatâra éternel», et qui est par là même identique à l’«Homme Universel».” (p. 180)

Il existe un triple temps, nommé dans la tradition hindoue trikâla: passé, présent et avenir (modalités temporelles). La représentation rectiligne du temps est inexacte, parce que le temps est rectiligne.

„[…] le «milieu du temps» est proprement, si l’on peut s’exprimer ainsi, le «lien» temporel de l’«homme véritable», et, pour lui, ce point est vraiment toujours le présent.” (p. 182)

Le présent appartient à l’Homme, le passé au Destin (d’où son caractère de «nécessité») et l’avenir à la Providence (d’où son caractère «libre»). „Il est que ce n’est là encore, en réalité, qu’une question de «perspective», et que, pour un être qui est en dehors de la condition temporelle, il n’y a plus ni passé, ni avenir, ni par conséquent aucune différence entre eux, tout lui apparaissant en parfaite simultanéité […]” (p. 183)


Chapitre XXIII. La roue cosmique

Dans Absconditorum Clavis de Guillaume Postel on trouve le ternaire Deus, Homo, Rota. Le troisième terme est la „roue cosmique”, symbole du monde manifesté. Les Rosicruciens l’appellaient Rota Mundi.

„On peut donc dire que, en général, ce symbole représente la «Nature» prise, suivant ce que nous avons dit, dans son sens le plus étendu; mais il est en outre susceptible de diverses significations plus précises, parmi lesquelles nous envisagerons seulement ici celles qui ont un rapport direct avec le sujet de notre étude.” (p. 187)

La roue est assimilable au cercle, dont le centre est le Principe et la circonférence représente la manifestation. En astrologie, c’est le signe du Soleil. En alchimie, c’est le signe de l’or. En numérologie correspond au dénaire (10). Le centre est unité et la circonférence multiplicité.

Les formes de roue qu’on rencontre le plus habituellement sont les roues à six et huit rayons, et aussi à douze et seize, nombres doubles de ceux-là. La plus simple est la roue partagée en quatre.

Il existe dans le symbole de la roue un ternaire constitué par le centre, le rayon et la circonférence. Il correspond respectivement au Ciel, à l’Homme et à la Terre.
L.-Cl. de Saint-Martin, Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l’Homme et l’Univers.


Chapitre XXIV. Le «Triratna»

Triratna hindou (le triple joyau) – Buddha, Dharma, Sangha.

Sangha (hindou) – assemblée (ou „église” – selon le sens étymologique). Sangha est la communauté bouddhique, mais aussi l’Humanité même. Elle occupe une position centrale. Tout est envisagé par rapport à elle.

Les Arhats ont atteint le degré de l’«homme véritable».

Les Bodhisattwas correspond au degré de l’«homme transcendant».

Buddha est l’élément transcendant, à travers lequel se manifeste l’influence du Ciel, et qui, par suite, «incarne» cette influence.

Dharma est principialement „la loi”, mais le mot a en sanscrit des sens multiples, qui rendent une définition générale impossible. Sa racine, dhri, signifie porter, supporter, soutenir, maintenir. Il s’agit donc d’un principe de conservation, de stabilité (qui se rapport au monde substantiel). Il comprend aussi une idée de destin, de nécessité ou de contrainte. Son principal symbole est la roue.

Pratyêka-Buddha, qui est parvenu au terme de la réalisation totale, n’a aucun rapport avec le Dharma.

Buddha se situe du côté des influences terrestres, tout comme Dharme est du côté des influences terrestres.


Chapitre XXV. La cité des saules

Le symbolisme de Tien-ti-houei a un caractère primordial.

Dabs l’initiation à la Tien-ti-houei, le néophyte, après être passé par différentes étapes préliminaires, dont la dernière est désignée comme le «Cercle du Ciel et de la Terre» (Tien-ti-kiuen), arrive finalement à la «Cité des Saules» (Mou-yang-tcheng), qui est aussi appelée la «Maison de la Grande Paix» (Tai-ping-chouang). La saule est, en Chine, symbole d’immortalité.

Elle équivaut à l’acacia dans la Maçonnerie ou au rameau d’or dans les mystères antiques. „[…] celui qui y est parvenu échappe par là même au mouvement de la «roue cosmique» et aux vicissitudes du yin et du yang, donc à l’alternance des vies et des morts qui en est la conséquence, de sorte qu’il peut être dit véritablement «immortel»; et, suivant la seconde signification, il y a là une allusion assez explicite à la situation «extra-cosmique» du «faîte du Ciel».” (p. 203)

La Grande Ourse (sapta-riksha) est regardée symboliquement comme la demeure des sept Rishis, ce qui en fait bien un équivalent du «séjour des Immortels».

Ton arton ton epiousion (du texte grec de Pater) ne signifie nullement „le pain quotidien”, comme on a l’habitude de la traduire, mais bien littéralement «le pain supraessentiel», ou «supracéleste» si l’on entend le Ciel au sens extrême-oriental, c’est-à-dire procédant du Principe même et donnant par conséquent à l’homme le moyen de se mettre en communication avec celui-ci.

Récapitulation de toute la Maçonnerie ou description et explication de l’Hiéroglyphe universel du Maître des Maîtres, ouvrage anonyme attribué à Delaulnaye.

La lettre hébraïque iod, première du Tétragramme, représente le Principe, de sorte qu’elle est regardée comme constituant à elle-seule un homme divin. Sa valeur numérique est 10. La lettre I de l’alphabet latin est aussi un symbole de l’Unité.

„[…] qu’il s’agisse du iod hébraïque ou du i chinois, ce «premier nom de Dieu», qui était aussi, selon toute vraisemblance, son nom secret chez les Fedeli d’Amore, n’est pas autre chose, en définitive, que l’expression même de l’Unité principielle.” (p. 208)


Chapitre XXVI. La Voie du Milieu

La Voie du Milieu est représentée par un axe vertical envisagé dans le sens ascendant – du point de vue d’un être qui, placé au centre de l’état humain, tend à s’élever de là aux états supérieurs.
Lorsque cet être s’identifie à l’axe, pour lui le pôle terrestre ne fait plus qu’un avec le pôle céleste. Cet être finit par résorber l’axe en un point: „ce point est le centre qui contient en lui-même toutes les possibilités, non plus seulement d’un êtat particulier, mais de la totalité de états manifestés et non-manifestés.” (p. 209-210)

Le centre de l’être total est le „Saint Palais” de la Kabbale hébraïque.

Dans la Voie du Milieu il n’y a ni droite ni gauche, ni avant ni arrière, ni haut ni bas. Dès que l’être est parvenu au centre de son état de manifestation, il est au-delà de toutes les oppositions contingentes qui résultent des vicissitudes du yin et du yang. La succession temporelle s’est transformée elle-aussi en simultanéité au point central.

„C’est pourquoi, suivant la parole de Lao-tseu, «la voie qui est une voie (pouvant être parcourue) n’est pas la Voie (absolue)», car, pour l’être qui s’est établi effectivement au centre total et universel, c’est ce point unique lui-même, et lui seul, qui est véritablement la «Voie» hors de laquelle il n’est rien.” (p. 212)

Aperçus sur l'Ésotérisme chrétien (Notes de lecture)


Editions traditionnelles, 1988. Editions établie par Jean Reyer.

Avant-propos

Il s’agit d’une suite d’études fragmentaires sur l’ésotérisme chrétien.

Le Christianism auquel pense René Guénon n’est pas celui des pseudo-ésotéristes qui ne voiend dans le Christ rien de plus qu’un «grand initié» et pas davantage celui des protestants libéraux, mais le Christianisme authentique des Eglises apostoliques.

Du fait que le Christianisme tient relativement peu de place dans l’œuvre de René Guénon prise dans son ensemble, du fait que celui-ci ne s’est pas attaché à en mettre en lumière le contenu métaphysique et initiatique, certains se sont cru autorisés à conclure que Guénon considérait le Christianisme comme une forme traditionnelle, régulière et orthodoxe certes, mais en quelque manière incomplète sous le rapport de la connaissance métaphysique. René Guénon s’est opposé d’avance, et depuis longtemps, à une telle déformation de sa pensée.

Première partie. Structure et caractéristique de la tradition chrétienne

Chapitre I. A propos des langues sacrées

La langue sacrée du monde occidental est l’hébreu. Cela en raison de la filiation directe qui existe entre les traditions judaïque et chrétienne, et de l’incorporation des Ecritures hébraïques aux Livres sacrées du Christianisme lui-même.

Mais, le Christianisme n’a pas de langue sacrée qui lui appartienne en propre, ce qui est exceptionnel parmi les différentes traditions. Il ne faut confondre les langues sacrées avec les langues liturgiques (qui doivent être fixes, exemptes des variations continuelles que subissent forcément les langues qui sont parlées communément). Les langues sacrées sont celles en lesquelles sont formulées les Ecritures des différentes traditions. Une langue sacrée peut être langue liturgique, l’inverse est inconcevable. Le latin, le grec, le syriaque, le copte et le vieux slave sont langues rituelles, mais pas langues sacrées du christianisme. Le Nouveau Testament n’est connu qu’en grec, or, il est inconcevable que ce soit là la véritable langue des paroles du Christ. “Il se peut cependant qu’ils n’aient jamais été écrits effectivement qu’en grec, ayant été précédemment transmis oralement dans la langue originelle; mais on peut alors se demander pourquoi la fixation par l’écriture, lorsqu’elle a eu lieu, ne s’est pas faite tout aussi bien dans cette langue même, et c’est là une question à laquelle il serait bien difficile de répondre.” (p. 17)
Sur l’importance de la langue sacrée

“[…] une langue sacrée peut seule assurer l’invariabilité rigoureuse du texte des Ecritures; les traductions varient nécessairement d’une langue à une autre, et, de plus, elles ne peuvent jamais être qu’approximatives, chaque langue ayant ses modes d’expression propres qui ne correspondent pas exactement à ceux des autres; même lorsqu'elles rendent aussi bien que possible le sens extérieur et littéral, elles apportent en tout cas bien des obstacles à la pénétration des autres sens plus profonds; et l’on peut se rendre compte par là de quelques-unes des difficultés toutes spéciales que présente l’étude de la tradition chrétienne pour qui ne veut pas s’en tenir à de simples apparences plus ou moins superficielles.” (p. 17-18)
Le Christianisme ne possède pas non plus l’équivalent de la partie proprement “légale” des autres traditions (on peut dire, en se servant d’un terme emprunté à la tradition islamique, que le Christianisme n’a pas de shariyah, cela est d’autant plus remarquable que, dans la filiation traditionelle abrahamique, il se situe entre le Judaïsme et l’Islamisme, qui ont l’un est l’autre une shariyah fort développée).

On peut se demander, vu le manque de langue sacrée et de shariyah, si le Christianisme originel n’était pas en réalité quelque chose de très différent de tout ce qu’on peut penser actuellement – sinon quant à la doctrine elle-même, du moins quant aux fins en vue desquelles il était constitué.

Chapitre II. Christianisme et initiation

Une obscurité presque impénétrable entoure tout ce qui se rapporte aux origines et aux premiers temps du Christianisme. Cette obscurité ne paraît pas pouvoir être simplement accidentelle, mais expressément voulue. Sans toute, loin d’être uniquement la religion ou la tradition exotérique que l’on connaît actuellement sous ce nom, le Christianisme, à ses origines, avait, tant par les rites que par sa doctrine, un caractère essentiellement ésotérique, initiatique.
La tradition islamique considère le Christianisme primitif comme ayant été une tarîqah, une voie initiatique, et non une shariyah ou une législation d’ordre social et s’adressant à tous. Le droit canonique chrétien est une adaptation du droit romain, et non un développement venu de l’intérieur.

Sur l’absence de législation dans le christianisme: “Ce serait là, assurément, une lacune des plus graves si le Christianisme avait été alors ce qu’il est devenu plus tard; l’existence même d’une telle lacune serait non seulement inexplicable, mais vraiment inconcevable pour une tradition orthodoxe et régulière, si cette tradition devait réellement comporter un exotérisme aussi bien qu’un ésotérisme, et si elle devait même, pourait-on dire, s’appliquer avant tout au domaine exotérique; par contre, si le Christinianisme avait le caractère que nous venons de dire, la chose s’explique sans peine, car il ne s’agit nullement d’une lacune, mais d’une abstention intentionnelle d’intervenir dans un domaine qui, par définition même, ne pouvait pas le concerner dans ces conditions.” (p. 23)

Aux premiers siècles l’Eglise chrétienne ressemblait au Sangha bouddhique, où l’admission avait les caractères d’une véritable initiation.“[…] en effet, nous avons toujours eu le plus grand soin d’indiquer qu’une influence spirituelle intervient aussi bien dans les rites exotériques que dans les rites initiatiques, mais il va de soi que les effets qu’elle produit ne sauraient aucunement être du même ordre dans les deux cas, sans quoi la distinction même des deux domaines correspondants ne subsisterait plus.” (p. 26)

Certains considèrent que les rites exotériques chrétiens ont été d’abord des rites esotériques, mais qui ont perdu leur caractère suite à une exotérisation, à une généralistion. René Guénon considère que le caractère ésotérique ne peut pas être perdu accidentalement, et si une ouverture s’est produit à un certain moment, elle a été accompagné d’une adaptation qui, malgré les conséquences regrettables qu’elle eut forcément, fut pleinement justifiée et même nécessitée par les circonstances de temps et de lieu.

Si le Christianisme n’était pas descendu dans le domaine exotérique, vu l’extrême dégénerescence de la tradition gréco-romaine, l’Empire romain aurait été bientôt dépourvu de toute tradition. Ce changement qui a fait du Christianisme une religion au sens propre du mot et une forme traditionnelle s’adressant à tous indistinctement était déjà un fait accompli à l’époque de Constantin et du Concile de Nicée, de sorte que celui-ci n’eut qu’à le sanctionner, en inaugurant l’ère des formulations dogmatiques.

De quelle manière le changement s’est produit: “Cela ne pouvait d’ailleurs pas aller sans quelques inconvénients inévitables, car le fait d’enfermer ainsi la doctine dans des formules nettement définies et limitées rendait beaucoup plus difficile, même à ceux qui en étaient réellement capables, d’en pénétrer le sens profond; de plus, les vérités d’ordre plus proprement ésotérique, qui étaient par leur nature même hors de la portée du plus grand nombre, ne pouvaient plus être présentées que comme des «mystères» au sens que ce mot a pris vulgairement, c’est-à-dire que, aux yeux du commun, elles ne devaient pas tarder à apparaître comme quelque chose qu’il était impossible de comprendre, voire même interdit de chercher à approfondir.” (p. 28-29)

Toujours sur la nature du Christianisme des origines: “Il est évident en effet que la nature du Christianisme originel, en tant qu’elle était essentiellement ésotérique et initiatique, devait demeurer entièrement ignorée de ceux qui étaient maintenant admis dans le Christianisme devenu exotérique; par conséquent, tout ce qui pouvait faire connaître ou seulement soupçonner ce qu’avait été réellement le Christianisme à ses débuts devait être recouvert pour eux d’un voile impénétrable.” (p. 29)

La pratique exotérique pourrait se définit comme un minimum nécessaire et suffisant pour assurer le «salut», car c’est là le but unique auquel elle est effectivement destinée. L’existence même des mystères chrétiens serait injustifiable si l’on n’admettait pas le caractère ésotérique du Christianisme originel.

On peut dire que le baptême ressemble encore à un rite initiatique de rattachement à une organisation initiatique, que la confirmation est le correspondat exotérique des petits mystères, pendant que l’ordre est l’extériorisation d’une initiation sacerdotale. A l’origine, le baptême était préparé par des précautions concernant l’initié, maintenant il est un rite qui peut être accompli par n’importe qui, et dont le support est un enfant nouveau-né (son but est donc le salut, et non l’initiation).“Cette façon de voir, suivant laquelle le «salut» qui est le but final de tous les rites exotériques, est lié nécessairement à l’admission dans l’Eglise chrétienne, n’est en somme qu’une conséquence de cette sorte d’«exclusivisme» qui est inévitablement inhérent au point de vue de tout exotérisme comme tel.” (p. 34)

Les rites chrétiens d’aujourd’hui sont sans exception publiques, ce qui n’est dans aucune tradition le cas des rites ésotériques. Même si les sacrements ont d’abord une valeur exotérique, partout où il existe des initiations relevant spécialement d’une forme traditionnelle déterminée et prenant pour base l’éxotérisme même de celle-ci, les rites exotériques peuvent, pour ceux qui ont reçu une telle initiation, être transposés en quelque sorte dans un autre ordre, en servant de support pour le travail initiatique.

Dans les Eglises d’Orient subsiste une forme d’initiation: l’hésychasme, même amoindrie dans les conditions du monde moderne. L’initiation est essentiellement constituée par la transmission régulière de certaines formules, comparables à la communication des mantras dans la tradition hindoue et à celle du wird dans les turuq islamiques. Il est intéressant que cette invocation est désignée par le terme mnêmê (mémoire ou souvenir), qui est exactement l’équivalent de l’arabe dhikr.

Conclusions: “en dépit des origines initiatiques du Christianisme, celui-ci, dans son état actuel, n’est certainement rien d’autre qu’une religion, c’est-à-dire une tradition d’ordre exclusivement exotérique, et il n’a pas en lui-même d’autres possibilités que celles de tout exotérisme; il ne le prétend d’ailleurs aucunement, puisqu’il n’y est jamais question d’autre chose que d’obtenir le «salut». Une initiation peut naturellement s’y superposer, et elle le devrait même normalement pour que la tradition soit véritablement complète, possédant effectivement les deux aspects exotérique et ésotérique; mais, dans sa forme occidentale tout au moins, cette initiation, en fait, n’existe plus présentement. Il est d’ailleurs bien entendu que l’observance des rites exotériques est pleinement suffisante pour atteindre au «salut»; c’est déjà beaucoup, assurément, et même c’est tout ce à quoi peut légitimement prétendre, aujourd’hui plus que jamais, l’immense majorité des êtres humains; mais que devront faire, dans ces conditions, ceux pour qui, suivant l’expression de certains mataçawwufîn, «le Paradis n’est encore qu’une prison»?” (p. 39-40)

Deuxième partie.
De quelques organisations initiatiques chrétiennes

Chapitre III. Les gardiens de la Terre Sainte

Parmi les attributions des Ordres de chevalerie, une des plus connues est celle de «gardiens de la Terre Sainte». Si nous prenons la signification la plus extérieure, on trouve une explication de la connexion qui existe entre l’origine de ces Ordres et les Croisades. Certaines organisations orientales comme les Assacis et les Druzes ont le même titre de «gardiens de la Terre Sainte» (qui, dans leur cas ne peut pas être la Palestine).

Question pour définir les concepts: “Que faut-il donc entendre en réalité par la «Terre Sainte», et à quoi correspond exactement ce rôle de «gardiens» qui semble attaché à un genre d’initiation «chevaleresque», en donnant à ce terme une extension plus grande qu’on ne le fait d’ordinaire, mais que les analogies existant entre les différentes formes de ce dont il s’agit suffirait amplement à légitimer?” (p. 43)

L’expression Terre Sainte a quelques synonymes: Terre Pure, Terre des Saints, Terre des Bienheureux, Terre des Vivants, Terre d’Immortalité. Dans Sepher Ietsirah il est parlé du «Saint Palais» ou «Palais intérieur», qui est le véritable «Centre du Monde». L’image du «Saint Palais» dans le monde humain est un lieu de Shekinah, qui est la présence réelle de la Divinité. Pour le peuple d’Israël, cette résidence était le Tabernacle (Mishkan), qui était pour cette raison considéré le «Cœur du Monde», parce qu’il était le centre spirituel de sa propre tradition.

Tous les peuples possédant une tradition orthodoxe ont assimilé leurs pays au «Cœur du Monde», et l’ont regardé comme une image du Ciel, deux idées qui ne font qu’une seule réalité. Il existe autant de «Terres Saintes» particulières qu’il existe de formes traditionnelles régulières. Il existe néanmoins “une «Terre Sainte» par excellence, prototype de tous les autres, centre spirituel auquel tous les autres centres sont subordonnés, siège de la Tradition primordiale dont toutes les traditions particulières sont dérivées par adaptation à telles ou telles conditions définies qui sont celles d’un peuple ou d’une époque.” (p. 47-48)

Cette Terre Sainte est la «contrée suprême», appelée en sanscrit Paradêsha, dont les Chaldéens ont fait Pardes et les Occidentaux Paradis. Elle a été désignée aussi sous les noms: Tula, Luz, Salem, Agarttha. Ses symboles sont la montagne, la caverne, l’île. Elle est aussi en liaison avec le symbolisme du Pôle et de l’Axe du Monde.

La fontaine d’enseignement est aussi fontaine de jouvence (fons juventutis), parce que celui qui y boit est affranchi de la condition temporelle.Le pélerinage est précisément une des figures de l’initiation, de sorte que le «pélerinage en Terre Sainte» est, au sens ésotérique, la même chose que la «recherche de la Parole perdue» ou la «queste du Saint Graal».

Le symbolisme de la «Terre Sainte» a un double sens: il représente le Centre mais aussi la tradition qui en émane ou qui y est conservée. Cette idée se retrouve dans le symbolisme du Saint Graal, qui est un vase (grasale) et un livre (gradale ou graduale).

Sur les Templiers: “Mais, dans le cas des Templiers, il y a quelque chose de plus à considérer: bien que leur initiation ait été essentiellement «chevaleresque», ainsi qu’il convenait à leur nature et à leur fonction, ils avaient un double caractère, à la fois militaire et religieux; et il devait en être ainsi s’ils étaient, comme nous avons bien des raisons de le penser, parmi les «gardiens» du Centre suprême, où l’autorité spirituelle et le pouvoir temporel sont réunis dans leur principe commun, et qui communique la marque de cette réunion à tout ce qui lui est rattaché directement.

Dans le monde occidental, où le spirituel prend la forme spécifiquement religieuse, les véritables «gardiens de la Terre Sainte», tant qu’ils y eurent une existence en quelque sorte «officielle», devaient être des chevaliers, mais des chevaliers qui fussent des moines en même temps; et, effectivement, c’est bien là ce que furent les Templiers.” (p. 52)

Le rôle des «gardiens» du Centre suprême est aussi de maintenir un rattachement avec la Tradition primordiale et les traditions secondaires et dérivées. Les Templiers, conscients de la véritable unité doctrinale, pouvaient communiquer avec les représentants des autres traditions – c’est ce qui explique leurs relations avec certaines organisations orientales.

La destruction de l’Ordre des Templiers, au XVIe siècle, a entraîné pour l’Occident la rupture des relations régulières avec le «Centre du Monde». La communication a été encore maintenue par Fede Sante (Fidèles d’Amour) et Massenie du Saint Graal, et encore d’autres organisations héritières de l’esprit de l’Ordre du Templiers. Les derniers ont été les Rose-Croix, qui ont quitté l’Occident quand leur action est devenue impossible.“Pour le monde occidental, il n’y a plus de «Terre Sainte» à garder, puisque le chemin qui y conduit est entièrement perdu désormais; combien de temps cette situation durera-t-elle encore, et faut-il même espérer que la communication pourra être établie tôt ou tard? C’est là une question à laquelle il ne nous appartient pas d’apporter une réponse; outre que nous ne voulons risquer aucune prédiction, la solution ne dépend que de l’Occident lui-même, car c’est en revenant à des conditions normales et en retrouvant l’esprit de sa propre tradition, s’il en a encore en lui la possibilité, qu’il pourra voir s’ouvrir de nouveau la voie qui mène au «Centre du Monde».” (p. 54)

Chapitre IV. Le langage secret de Dante et des «Fidèles d’Amour»

La thèse de M. Luigi Valli (Il Linguaggio segreto di Dante a dei «Fedeli d’Amore») – les diverses «dames» célébrées par les poètes se rattachant à la mystérieuse organisation des «Fidèles d’Amour», depuis Dante, Guido Cavalcanti et leurs contemporains jusqu’à Boccace et à Pétrarque ne sont point des femmes ayant vécu réellement sur cette terre; elles ne sont touts, sous différents noms, qu’une seule et même «Dame» symbolique, qui représente l’Intelligence transcendente (Madonna Intelligenza de Dino Compagni) ou la Sagesse divine.

Chez les Soufis persans un sens similaire a été dissimulé sous les apparences d’une simple poésie d’amour.Le cuore gentile des «Fidèles d’Amour» est le cœur purifié, c’est-à-dire vide de tout ce qui concerne les objets extérieurs, et par là même rendu apte à recevoir l’illumination intérieure; ce qui est remarquable, c’est qu’on trouve une doctrine identique dans le Taoïsme.“L’ésotérisme n’est pas contrare à l’«orthodoxie», même entendue simplement au sens religieux; il est au-dessus ou au-delà du point de vue religieux, ce qui, évidemment, n’est pas du tout la même chose; et, en fait, l’accusation injustifiée d’«hérésie» ne fut souvent qu’un moyen commode pour se débarrasser de gens qui pouvaient être gênants pour de tout autres motifs.” (p. 60)

Quant à la méthode de traitement de certaines choses initiatiques: “mais il ne faudrait pas conclure de là que l’usage d’une terminologie symbolique n’a d’autre raison d’être que la volonté de dissimuler le vrai sens d’une doctrine; il y a des choses qui, par leur nature même, ne peuvent pas être exprimées autrement que sous cette forme […]” (p. 62)

L’expression proverbiale «boire comme un Templier», prise par le vulgaire dans le sens le plus grossièrement littéral, n’a sans doute pas d’autre origine réelle: le «vin» que buvaient les Templiers était le même que celui que buvaient les Kabbalistes juifs et les Soufis musulmans. De même, l’autre expression «jurer comme un Templier» n’est qu’une allusion au serment initiatique, détournée de sa véritable signification par l’incompréhension et la malveillance profanes.Le vin dans le sens ordinaire n’est pas une boisson permise en Islam; quand on en parle donc, dans l’ésotérisme islamique, il doit être entendu comme désignant quelque chose de plus subtil, et, effectivement, selon l’enseignement de Mohyiddin ibn Arabi, le «vin» désigne la «science des états spirituels» (ilmu-l-ahwâl), alors que l’«eau» représente la «science absolue» (al-ilmu-I-mutlaq), le «lait», la «science des lois révélées» (ilmu-ch-chrây’i) et le «miel», la «science des normes sapietiales» (ilmu-n-nawâmîs). Si l’on remarque en outre que ces quatre «breuvages» sont exactement les substances des quatre sortes de fleuves paradisiaques selon le Coran 47, 17, on se rendra compte que le «vin» des Soufis a, comme leurs autres boissons initiatiques, une autre substantialité que celle du liquide connu qui lui sert de symbole.“[…] une tradition «chevaleresque», pour s’adapter à la nature propre des hommes à qui elle s’adresse spécialement, comporte toujours la prépondérance d’un principe représenté comme féminin (Madonna), ainsi que l’intervention d’un élément affectif (Amore).” (p. 63)

L’aspect féminin de la divinité est le sujet d’un culte aussi dans l’Inde, où elle est désignée comme Shakti, équivalent à certains égards à la Shekinah hébraïque. Le culte de Shakti concerne surtout les Kshatriya. Shakti correspond à une voie d’initiation qui a comme support l’émotivité.
“Il faut bien prendre garde de ne pas confondre «Gnose», qui signifie «connaissance», et «gnosticisme», bien que le second tire évidemment son nom de la première; d’ailleurs, cette dénomination de «gnosticisme» est assez vague et paraît, en fait, avoir été appliquée indistinctement à des choses fort différentes.” (p. 65)
Saint Jean: “Dieu est Amour”.

Le cri de guerre des Templiers: “Vive Dieu Saint Amour”. Le dernier vers de la Divine Comédie: “L’Amor che muove il Sole et l’Altre Stelle”. Il existe une antithèse entre l’«Amour» et la «Mort»: la racine mor leur est commune, et, dans a-mor, elle est précédée d’a privatif, comme dans le sanscrit a-mara, a-mrita, de sorte que l’Amour peut s’interpréter ainsi comme une sorte d’équivalent hiéroglyphique d’«immortalité».

Chapitre V. Le langage secret de Dante et des «Fidèles d’Amour»
Comentaires concernant un autre ouvrage de M. Luigi Valli (Il Linguaggio segreto di Dante e dei «Fedeli d’Amore», vol. II – Discussione e note aggiunte, Roma, Biblioteca di Filosofia e Scienza, Casa editrice «Optima»).

“Nous noterons seulement deux ou trois exemples typiques de l’incompréhension des «critiques» universitaires: certains ont été jusqu’à prétendre qu’une poésie qui est belle ne peut être symbolique; il leur paraît qu’une œuvre d’art ne peut être admirée que si elle ne signifie rien, et que l’existence d’un sens profond en détruit la valeur artistique!” (p. 72-73)

L’œuvre Risâlatul-Ghufrân de Abul-Alâ El-Maarri (initié de haut rang) peut être considéré comme l’une des principales «sources» islamiques de la Divine Comédie.“A une époque très récente encore, dans certaines confréries ésotériques musulmanes, chacun devait tous les ans, à l’occasion du mûlid du Sheikh, composer un poème dans lequel il s’efforçait, fût-ce au détriment de la perfection de la forme, d’enfermer un sens doctrinal plus ou moins profond.” (p. 74-75)
Une adaptation du Roman de la Rose a été faite en italien par un Florentin nommé Durante, qui est presque certainement Dante lui-même.

Le sens des initiales F.S.K.I.P.F.T. sont pour les sept vertus: Fides, Spes, Karitas, Justitia, Prudentia, Fortitudo, Temperantia. Francesco da Barberino, dans son Tractatus Amoris s’est fait représenter dans une attitude d’adoration devant la lettre I; dans la Divine Comédie, Adam dit que le premier nom de Dieu fut I, le nom qui vint ensuite étant El.

Chapitre VI. Nouveaux aperçus sur le langage secret de Dante

Avec les mêmes idées que celles exprimées par M. Luigi Valli a été construit l’ouvrage de M. Gaetano Scarlata consacré au traité De vulgari eloquentia de Dante. Dante parle de poeti volgari (ceux dont les écrits avaient un sens caché conformément au symbolisme des «Fidèles d’Amour») qui s’opposent au poeti litterali (ceux qui écrivent seulement dans le sens littéral). Les premiers sont aussi trilingues doctores parce que leurs œuvres s’interprètent selon un triple sens.

M. Scarlata pense que les «Fidèles d’Amour» n’ont jamais constitué une association suivant des formes rigoureusement définies, plus ou moins semblables à celles de la Maçonnerie moderne, avec un pouvoir central établissant des «filiales» dans des diverses localités. Mais dans la Maçonnerie elle-même, rien de tel n’a jamais existé avant la constitution de la Grande Loge d’Angleterre en 1717.“[…] comme nous l’avons déjà dit souvent, une organisation véritablement initiatique ne peut pas être une «société» au sens moderne de ce mot, avec tout le formalisme extérieur qu’il implique; lorsqu’on voit apparaître des statuts, des règlements écrits et autres choses de ce genre, on peut être sûr qu’il y a là une dégénérescence donnant à l’organisation un caractère «semi-profane», si l’on peut employer une telle expression.” (p. 82)

“Dante se proposait tout autre chose que de «faire de la littérature», et cela revient à dire qu’il était précisément tout le contraire d’un moderne; son œuvre, loin de s’opposer à l’esprit du moyen âge, en est une des plus parfaites synthèses, au même titre que celle des constructeurs de cathédrales; et les plus simples données initiatiques permettent de comprendre sans peine qu’il y a à ce rapprochement des raisons très profondes.” (p. 87)

Chapitre VII. «Fidèles d’Amour» et «Cours d’Amour»

M. Alfonso Ricolfi a publié un ouvrage qui se veut continuateur de l’œuvre de M. Luigi Valli – Studi sui «Fedeli d’Amore»; I. Le «Corti d’Amore» in Francia ed i loro riflessi in Italia, Roma, Biblioteca della Nuova Rivista Storica, Societa Editrice Dante Alighieri, 1933.

Il faut entendre par «Cours d’Amour» une assemblée symbolique présidée par l’Amour lui-même personnifié, tandis qu’une «Cours d’amour» est seulement une réunion humaine, constituant une sorte de tribunal appelé à se prononcer sur des cas plus ou moins complexes.

Tout comme il y avait des alchimistes et des souffleurs, il y avait des contrefaçons littérales dans la poèsie d’Amour. Cette confusion a pu servir, dans les deux cas, à dérouter des recherches indiscrètes.

Jacques de Baisieux, Les Fiefs d’Amour.

André, chapelain du roi de France, écrit que le palais de l’Amour s’élève au milieu de l’Univers, que ce palais a quatre côtés et quatre portes. La porte de l’Orient est réservée au Dieu, et celle du Nord demeure toujours fermée. Il est à remarquer que le Temple de Salomon n’a pas de porte vers le Nord non plus. Dans la tradition chinoise le Nord est le côté du yin, tandis que le côté opposé est celui du yang.

Dans des poèmes et fabliaux, la «Cour d’Amour» est décrite comme composée d’oiseaux, qu’on voit y prendre la parole tout à tour; on y parle donc la «langue des oiseaux». Dans le Qorân cette «langue des oiseaux» se trouve expressément mentionnée. Parmi les oiseaux une importance spéciale ont le rossignol et le perroquet. Ce dernier est le vâhana ou véhicule symbolique de Kâma, c’est-à-dire de l’Eros hindou.

Francesco da Barberino, dans ses Documenti d’Amore, représente l’Amour avec des pieds de faucon ou d’épervier, l’oiseau emblématique de l’Horus égyptien, dont le symbolisme est en étroite relation avec celui du «Cœur du Monde».

Chapitre VIII. Le Saint Graal

Arthur Edward Waite, The Holy Grail, its legends and symbols, London, Rider and Co., 1933. L’ouvrage est quelque peu one-sighter.“La conception même du folk-lore, tel qu’on l’entend habituellement, repose sur une idée radicalement fausse, l’idée qu’il y a des «créations populaires», produits spontanés de la masse du peuple; et l’on voit tout de suite le rapport étroit de cette façon de voir avec les préjugés «démocratiques».” (p. 100-101)

Luc Benoist: “L’intérêt profond de toutes les traditions dites populaires réside surtout dans le fait qu’elles ne sont pas populaires d’origine” (La Cuisine des Anges, une esthétique de la pensée, Paris, 1932, p. 74).

La seule chose «populaire» est la mémoire utilisée pour conserver des connaissances traditionnelles.“Lorsqu’une forme traditionnelle est sur le point de s’éteindre, ses derniers représentants peuvent fort bien confier volontairement, à cette mémoire collective dont nous venons de parler, ce qui autrement se perdrait sans retour; c’est en somme le seul moyen de sauver ce qui peut l’être dans une certaine mesure; et, en même temps, l’incompréhension naturelle de la masse est une suffisante garantie que ce qui possédait un caractère ésotérique n’en sera pas dépouillé pour cela, mais demeurera seulement, comme une sorte de témoignage du passé, pour ceux qui, en d’autres temps, seront capables de le comprendre.” (p. 102)

Il y a des symboles qui sont communs aux formes traditionnelles les plus diverses et les plus éloignées les unes des autres, non par suite «d’emprunts» qui, dans bien des cas, seraient tout à fait impossibles, mais parce qu’ils appartiennent en réalité à la Tradition primordiale dont ces formes sont toutes issues directement ou indirectement. C’est le cas du symbole de la coupe.“[…]
Les «dieux de la végétation» et autres histoires du même genre n’ont jamais existé que dans l’imagination de Frazer et de ses pareils, dont les intentions antitraditionnelles ne sont d’ailleurs pas douteuses.” (p. 104)

“Penser qu’un sens nouveau peut être donné à un symbole qui ne le possédait pas par lui-même, c’est presque nier le symbolisme, car c’est en faire quelque chose d’artificiel, sinon d’entièrement arbitraire, et en tout cas de purement humain; […] tout véritable symbole porte ses multiples sens en lui-même, et cela dès l’origine, car il n’est pas constitué comme tel en vertu d’une convention humaine, mais en vertu de la «loi de correspondance» qui relie tous les mondes entre eux; que, tandis que certains voient ces sens, d’autres ne voient pas ou n’en voient qu’une partie, ils n’y sont pas moins réellement contenus, et l’«horizon intellectuel» de chacun fait toute la différence; le symbolisme est une science exacte et non pas une rêverie où les fantaisies individuelles peuvent se donner libre cours.” (p. 106)

Le poète qui n’est pas conscient des symboles qu’il véhicule a été désigné par l’analogie de l’âne portant des reliques. Le sens supérieur transparaît moins chez Chrestien de Troyes que chez Robert de Borron, mais on ne peut pas dire pour autant que le premier était moins conscient que le deuxième de ce qu’il colportait. Dante écrivait en parfaite connaissance de cause; Chrestien de Troyes, Robert de Borron et d’autres furent probablement beaucoup moins conscients de ce qu’ils exprimaient. Mais peu importe.“Il ne nous paraît pas douteux que les origines de la légende du Graal doivent être rapportées à la transmission d’éléments traditionnels, d’ordre initiatique, du Druidisme au Christianisme; cette transmission ayant été opérée régulièrement, et quelles qu’en aient été d’ailleurs les modalités, ces éléments firent dès lors partie intégrante de l’ésotérisme chrétien.” (p. 109)

“L’existence de l’ésotérisme chrétien au moyen âge est une chose absolument certaine; les preuves de tout genre en abondent, et les dénégations dues à l’incompréhension moderne, qu’elles proviennent d’ailleurs de partisans ou d’adversaires du Christianisme, ne peuvent rien contre ce fait […]” (p. 109)

“Transposer les vérités de l’ordre religieux dans l’ordre initiatique, ce n’est point les dissoudre dans les nuées d’un «idéal» quelconque; c’est au contraire en pénétrer le sens le plus profond et le plus «positif» tout à la fois, en écartant toutes les nuées qui arrêtent et bornent la vue intellectuelle de l’humanité ordinaire.” (p. 114)

Chapitre IX. Le Sacré-Cœur et la légende du Saint Graal

M. Charbonneau-Lassay signale dans un article la légende du Saint Graal, écrite au XIIe siècle, mais bien antérieure par ses origines, puisqu’elle est une adaptation chrétienne de très anciennes traditions celtiques.

Dans les hiéroglyphes ou écriture sacrée le cœur a été figuré par un emblème: le vase.L’origine du Graal est digne d’attention: la coupe est taillée par les anges dans une émeraude tombée du front de Lucifer lors de sa chute. Cette émeraude rappelle d’une façon frappante l’urnâ, la perle frontale qui tient la place de la troisième œil de Shiva, représentant le «sens de l’éternité».

Le Graal fut confié à Adam dans le Paradis terrestre, mais, lors de sa chute, Adam le perdit à son tour. “L’homme, écarté de son centre originel par sa propre faute, se trouvait désormais enfermé dans la sphère temporelle; il ne pouvait plus rejoindre le point unique d’où toutes choses sont contemplées sous l’aspect de l’éternité. Le Paradis terrestre, en effet, était véritablement le «Centre du Monde», partout assimilé symboliquement au Cœur divin; et ne peut-on dire qu’Adam, tant qu’il fut dans l’Eden, vivait vraiment dans le Cœur de Dieu?” (p. 119)
Seth a pu retourner dans le Paradis terrestre et put ainsi recouvrer le précieux vase. Or, Seth est une des figures du Rédempteur, d’autant plus que son nom même exprime les idées de fondement, de stabilité, et annonce en quelque façon la restauration de l’ordre primordial détruit par la chute de l’homme. Selon la légende, après la mort du Christ le Saint Graal fut transporté en Grande-Bretagne par Joseph d’Arimathie et Nicodème.Sur la Table Ronde: “[…] cette table est aussi un symbole vraisemblablement très ancien, un de ceux qui furent associés à l’idée de ces centres spirituels auxquels nous venons de faire allusion. La forme circulaire de la table est d’ailleurs liée au «cycle zodiacal» […] par la présence autour d’elle de douze personnages principaux, particularité qui se retrouve dans la constitution de tous les centres dont il s’agit.” (p. 120)

La légende associe au Graal d’autres objets, et notamment une lance, qui dans l’adaptation chrétienne est la lance du centurion Longin. Il existe un coupe chez qui contient le Soma védique, une autre contient le Haoma mazdéen.Le triangle dont la pointe est dirigée vers le bas représente la coupe sacrificielle mais aussi le cœur. Le «triangle du cœur» est une expression courante dans les traditions orientales.La coupe est équivalée parfois à une fleur. En Orient la fleur symbolique par excellence est le lotus; en Occident, c’est le plus souvent la rose qui joue le même rôle.Un autre équivalent de la coupe est le croissant lunaire.

Conclusion: “lorsqu’on trouve partout de telles concordances, n’y a-t-il pas là plus qu’un simple indice de l’existence d’une tradition primordiale? Et comment expliquer que, le plus souvent, ceux même qui se croient obligés d’admettre en principe cette tradition primordiale n’y pensent plus ensuite et raisonnent en fait exactement comme si elle n’avait jamais existé, ou tout au moins comme si rien ne s’en était conservé au cours des siècles? Si l’on veut bien réfléchir à ce qu’il y a d’anormal dans une telle attitude, on sera peut-être moins disposés à s’étonner de certaines considérations, qui, à la vérité, ne paraissent étranges qu’en vertu des habitudes mentales propres à notre époque.

D’ailleurs, il suffit de chercher un peu, à la condition de n’y apporter aucun parti pris, pour découvrir de tous côtés les marques de cette unité doctrinale essentielle, dont la conscience a pu parfois s’obscurcir dans l’humanité, mais qui n’a jamais entièrement disparu; et, à mesure qu’on avance dans cette recherche, les points de comparaison se multiplient comme d’eux-mêmes et des preuves nouvelles apparaissent à chaque instant; certes, la Quœrite et invenietis de l’Evangile n’est pas un vain mot.” (p. 125-126)